Greg (Gilles Lellouche), Antoine (François Civil) et Yass (Karim Leklou) forment un trio de flics inséparables à la BAC Nord, la Brigade anti-criminalité du nord de Marseille. La brutalité des caïds qui imposent leur loi dans des quartiers où les forces de l'ordre ne s'aventurent plus, la pusillanimité de la hiérarchie policière et le manque de moyens de la BAC condamnent ce trio de super-flics à une impuissance qui les ronge. Un tuyau d'une informatrice (Kenza Fortas) leur permettrait pourtant de faire tomber tout un réseau. Mais, pour monter une telle opération au cœur des cités, il leur faudra franchir plusieurs lignes rouges.
"BAC Nord" est inspiré d'une histoire vraie. En 2012, dix-huits policiers de la BAC Nord de Marseille ont été poursuivis pour trafic de drogue et racket. L'affaire est toujours en cours, le parquet ayant fait appel du jugement de relaxe prononcé en avril à Marseille.
Cette coïncidence suscite un malaise, le même que celui éprouvé devant "Grâce à Dieu" (le film de François Ozon sur les abus sexuels commis par l'Eglise et couverts par la hiérarchie ecclésiastique sorti avant la condamnation définitive de Bernard Preynat et la relaxe de Philippe Barbarin). Car, même s'il s'en défend, BAC Nord prend parti en faveur des policiers, héroïse leurs actions, les blanchit de leurs accusations.
Le malaise est d'autant plus grand que le discours sous-jacent est sacrément rance : les cités nord de Marseille seraient des zones de non-droit gangrénés par les trafics ; les policiers, impuissants, lâchés par une classe politique irresponsable, seraient incapable d'y faire régner la loi sauf à recourir à des pratiques qui les exposeraient à des enquêtes tatillonnes des boeufs-carottes et à des sanctions pénales. On dirait un clip d'Alliance, le syndicat d'extrême-droite de la police nationale, ou un bulletin d'adhésion au Rassemblement national.
Pour autant, faut-il interdire au cinéma de traiter d'enquêtes judiciaires en cours ? La question avait été porté devant les tribunaux à la sortie de "Grâce à Dieu", qui l'avaient autorisé au motif qu'elle s'inscrivait dans un "débat d'intérêt général". Faut-il récuser un film au motif de l'idéologie qu'il défend ? Libération ne s'en prive pas qui évoque un film "démago et viriliste" "tendance cinquante nuances de droite". Les films vigilantistes de Charles Bronson ou de Clint Eastwood avaient suscité en leurs temps les mêmes et légitimes réserves.
Pour autant, même si on se doit d'exprimer ce malaise - un malaise symétrique à celui ressenti devant "Les Misérables" qui prenait, lui, ouvertement parti pour les jeunes des cités et légitimait leur violence au nom de la légitime défense face à la violence déployée par la police - force est de saluer l'efficacité du cinéma de Cédric Jimenez. Le réalisateur de "La French" sait raconter une histoire et la filmer : écrasé de soleil, loin des clichés de carte postale, Marseille devient la scène d'un "western urbain" (Télérama) ponctué de scènes mémorables. Cédric Jimenez sait diriger des acteurs : Gilles Lellouche, qui partageait déjà l'affiche avec Jean Dujardin dans "La French", y est époustouflant ; ses deux acolytes, François Civil et Karim Leklou, confirment, s'il en était besoin, leur statut de jeunes gloires montantes du cinéma français. Adèle Exarchopoulos (soupirs énamourés....) et Kenza Fortas réussissent à donner à leurs rôles pourtant mineurs une force rare.