L'histoire de la vie
« La vie est plus vide que la tête d’un adjudant-chef. Il ne s’y passe rien. Il faut tout inventer ! ». Voici ce que déclare le scénariste interprété par Henri Crémieux dans l’introduction du film de Julien Duvivier. Celui-ci arpente les lignes du journal à la recherche d’inspiration, en compagnie de son binôme, leur dernier scénario ayant été refusé par les censeurs. Dans ces lignes, il ne trouve que le médiocre, le lamentable, rien qui puisse un tant soit peu l’inspirer. Alors qu’il rejoint, amer, son ami à la fenêtre, celui-ci lui dit : « Et si nous racontions simplement une histoire d’amour ? ».
Car il s’agit avant tout de raconter. Raconter une histoire, dérouler, lentement, le fil du récit sous les yeux des spectateurs, qui deviennent, par là même, témoins de l’acte de création. Mais ce fil se scinde alors, subtilement, comme une branche se fragmente en plusieurs rameaux : il y a bien sûr l’histoire de ces deux scénaristes, ces tisseurs qui tantôt déroulent, tantôt coupent le fil de leur récit, celui de la vie d’Henriette, petite parigotte aux amours contrariées qui danse dans sa belle robe le soir du quatorze juillet. Et puis il y a toutes les autres histoires, ces récits et mensonges que racontent les différents personnages, souvenirs nostalgiques ou fables illusoires.
Tout l’art de Duvivier est de figurer cet acte de création, de narration, par la métaphore ou la mise en abîme qui, constamment, serpentent dans les images. Toujours subtilement, il s’amuse avec ce fil, ce long fil d’or qui s’emmêle et se déploie autour des personnages, liant plusieurs récits habilement enchâssés.
La Fête à Henriette est donc bien plus qu’une simple « histoire d’amour ». Elle est un questionnement complexe sur l’origine et la forme narrative. Chaque personnage, depuis son niveau de récit, devient lui même narrateur d’une histoire nouvelle, et la caméra, habilement, parvient à se glisser d’oeil en oeil, jouant sur les multiples focalisations, car après tout, tout vient de là : le regard est la première étape de la création, de l’invention, d’où la récurrence du motif de la fenêtre avec laquelle les différents personnages interagissent. Ils sont des témoins, et de ces témoignages, de ces regards naissent leurs histoires. Finalement, qui raconte quoi ? Tous raconte la vie.