Sans doute le projet le plus ambitieux dans la carrière de Steven Soderbergh tout en étant sans le moindre doute l'un de ses projets les plus aboutis. Rarement le cinéaste, caractérisé par une carrière très aléatoire, n'aura été aussi à l'aise que lorsqu'il s'applique à définir une situation, à développer un propos par le biais d'un bon nombre de protagonistes. S'il en fît presque sa spécialité, en référence aux deux derniers Contagion et Effets secondaires, Traffic marque la preuve réelle de son talent dans la narration mixte. Ici, la drogue est l'ennemi d'un bon nombre, l'Eldorado pour d'autres. Astucieusement, Soderbergh joue sur de multiples tableaux pour exposer l'impact de cette dépendance à travers les Etats-Unis et le Mexique. Du junkie au narcotrafiquants des cartels mexicains en passant pour la DEA, l'armée mexicaine et sa police fédérale, les importateurs sur sol américain et même en incluant à son récit l'homme politique chargé de mener une guerre sans merci à la poudre sud-américaine, tout y passe pour que soit bâti une échelle, de la consommation au trafic, de la lutte à la prolifération.
Il fallait pour ce faire une pléiade d'acteurs, de talents reconnus, d'acteurs du cru, le film étant scindé en une multitudes de séquences hétéroclites. Pour trancher, le cinéaste use des teintes, ce qui peut laisser perplexe dans un premier temps, alors que l'effet artistique prend tout son sens au fil du récit. Le Mexique est sépia, les hautes sphères américaines sont de teintes froides, notamment. Si l'on saute par ailleurs de coq à l'âne, tout devient très limpide au fur et à mesure que le public prend conscience des enjeux pour chacun des protagonistes et alors qu'au final, chaque événement bouleverse l'ensemble de la pyramide. Faisant preuve d'une maîtrise indéniable, le cinéaste américain dissèque sa thématique avec des pincettes, un délicatesse dans la narration qui soulève toutes les pierres pour éclaircir l'emprise des réseaux, l'impact du produit sur le citoyen consommateur.
Si l'on sent l'écart important entre les cartels de Tijuana ou Juajez et cette jeunesse américaine consommatrice, il n'est qu'une illusion. Les pieds sur terre, Steven Soderbergh démontre qu'au final, il est des guerres que l'on ne peut gagner. Cette guerre contre les narcotiques en est une, au grand dame d'un ambitieux politicien incarné par le brillant Michael Douglas. Mais pour ma part, c'est finalement les séquences tournées en espagnols au sud de la frontière qui m'auront le plus captivé. Benicio Del Toro incarne un federales mexicain dans toute sa splendeur, dépassé par les enjeux, sur le fil du rasoir. Chacun y va de son talent propre, de Catherine Zeta Jones en épouse qui ne compte pas en rester là, d'un Steven Bauer à qui le rôle fût habilement confié à un Dennis Quaid frauduleux, chacun joue un rôle conscéquent. L'on ne dénombre que difficilement le nombre de protagonistes, mais fait étrange, chacun est absolument parfait, Don Cheadle, Luis Guzman, ...
Steven Soderbergh dresse donc le plus détaillé des tableaux en la matière, un film aussi bien fictionnelle que documentaire, s'il en est. Les filières, les acteurs de la machination, hormis la fabrication, ça c'est une autre histoire, plus au sud, sont mis sur la scène. Incontestablement une référence cinématographique en matière de drogue, trafic reste et restera sans doute, vu la retraite de son artisan, la meilleure livraison de Steven Soderbergh à son public. Maîtrisé, c'est le moins que l'on puisse en dire. Une oeuvre fleuve qui passe comme une lettre à la poste et que l'on finit de contempler moins con qu'avant. Belle démonstration d'une cinéaste qui en aura pourtant loupé plus d'une. Mais peu importe, gloire à celui qui s'applique pour exposer non pas son point de vue, mais un point de vue général. 18/20