Aujourd’hui, je m’attaque à du lourd. « 2001, l’Odyssée de l’Espace », souvent considéré comme l’un, si ce n’est le meilleur film de Stanley Kubrick, reconnu par l’American Film Institute comme étant le meilleur film de science-fiction de tous les temps, long-métrage ayant révolutionné le cinéma de science-fiction… Sans surprise, j’en attendais beaucoup. Et finalement, le film m’a donné autre chose que ce que j’en attendais… et m’a retiré autre que ce à quoi je m’attendais.
Kubrick n’est pas un réalisateur comme les autres (si, si) et tente à chacun de ses films (enfin presque) de créer quelque chose de nouveau dans le genre et dans sa filmographie. Ici, il s’essaye pour la première fois à la science-fiction et, en effet, il va accoucher d’un long-métrage unique en son genre.
Tout d’abord, le film est divisé en quatre segments présentant trois époques différentes (même si le deuxième segment est très proche du troisième chronologiquement), et chacun de ces segments possède un ton assez différent les uns des autres tout en se mariant parfaitement dans une même histoire. Le film a aussi la particularité de traiter l’espace et le futur avec un réalisme rarement vu pour l’époque et même aujourd’hui, des dialogues banals et un scénario général limité dans ses grandes lignes. Mais ce qui rend le film unique et incontournable, c’est son ambiance. « 2001 » possède une ambiance extrêmement pesante avec des cadres, pour la plupart fixes, qui sont comme d’habitude chez Kubrick, très remplis, et surtout très étranges de par leurs positions (souvent penchées voire à l’envers) et leurs jeux visuels (beaucoup de plans contemplant des actions peu communes comme le vol d’un stylo en apesanteur ou un changement gravitationnel), des dialogues qui prennent leur temps, des personnages volontairement fades au ton monocorde, et une lenteur des actions qui créeront non seulement un sentiment d’oppression presque malsain voire effrayant pour certains, et une fascination rarement vue au cinéma. Du début à la fin du film, on est happé par ce voyage bizarre dont on ne comprend pas le sens, et le délire métaphysique du dernier segment intensifiera encore plus cet envoûtement. Sa conclusion n’en sera que plus démonstrative de la volonté qu’avait Kubrick de nous tenir en haleine jusqu’au bout puisque finalement, on ne comprendra toujours pas ce que l’on a suivi pendant plus de deux heures vingt de film. Et c’est là la véritable force du film : créer une sorte d’hypnose constante sur les spectateurs, tout comme le monolithe le fait sur les hommes. Cela fait de nous un personnage du film à part entière, à qui on ne donnera aucune autre information que celles qu’il voit lui-même. Les quatre segments plus ou moins éloignés temporellement, et les plans contemplatifs prennent alors tout leur sens, nous laissant ainsi analyser à notre guise chaque situation comme on le souhaite, et révéler le vrai sujet du film qui en plus d’être original, se révèle incroyablement audacieux : la capacité de l’homme à rechercher une vérité qui lui échappe et qu’il ne pourra de toute manière jamais pleinement maîtriser malgré le temps qui passe. Dans ce film, on ne nous donne aucune réponse, uniquement des minuscules pistes qui aboutiront à quelque chose d’encore plus étrange, d’encore plus incompréhensible. Inévitablement, le film nous laisse un arrière-goût amer et un sentiment de frustration au vu de sa fin. Mais je trouve que c’est une idée de génie d’avoir eu le courage de produire un film aussi atypique où l’on manipule continuellement le spectateur pour finalement ne lui révéler qu’un bordel d’idées visuelles et de symboles très différents les uns de autres, l’obligeant ainsi à faire travailler son imagination, et développer ses propres hypothèses, ses propres idées, source de toute découverte (n'est-ce point beau?). Cette fin ouverte aurait normalement dû énerver les spectateurs mais curieusement, ils ont été très réceptifs aux intentions de Kubrick, ce qui a permis au film d’obtenir la notoriété qu’il a aujourd’hui. Mais ce film est-il pour autant le chef d’œuvre incontesté du cinéma de science-fiction ? Pour moi, non.
Le film réussit brillamment à atteindre son objectif principal mais, l’ambition gigantesque oblige, « 2001 » est imparfait sur plusieurs points.
Premièrement, le film n’a aucun personnage à qui l’on s’attache. En soi, ce n’est pas un défaut puisque comme je l’ai dit plus haut, nous sommes un personnage du film à part entière. Mais malheureusement, alors que tout le film n’avait jusque alors jamais essayé de nous dicter des émotions (à part évidemment les séquences musicales), Kubrick a tenté lors d’une scène de nous faire peur. En effet, vers la fin du troisième segment du film,
Hal 9000, l’IA du vaisseau « Discovery One » contrôlant absolument tout le vaisseau, vient d’apprendre que Dave et Frank envisagent de le débrancher, et se décide donc à tuer Frank lors d’une sortie extravéhiculaire
. La scène va durer plus de quinze minutes… Quinze minutes interminables durant lesquelles on va observer
Frank Pool léviter seul dans l’espace à la merci d’Hal 9000…
Logiquement, une scène aussi lente aurait dû provoquer chez moi une certaine angoisse, et de la pitié pour l’astronaute… mais je n’en n’avais strictement rien à foutre et j’ai bien failli m’endormir. On peut penser que Kubrick a réalisé la scène ainsi afin de nous faire culpabiliser de notre désintérêt complet devant le
destin tragique de Frank
(et suivant ainsi la logique du film qui cherche à critiquer notre déshumanisation au fil du temps), mais d’une, ça ne marche pas parce que la scène est beaucoup trop longue et on s’ennuie ferme, et de deux, ce sentiment avait déjà été ressenti cinq minutes avant devant
l’assassinat de trois astronautes en stase par Hal
! Et là, ça marchait car la scène était courte et le
crime était lâche
! Ne se concentrer sur aucun personnage était une idée louable mais après, il ne faut pas la casser pour créer une scène faussement effrayante, qui va du coup faire tomber à plat l’épique de la scène qui suit ! C’est d’ailleurs un des problèmes principaux que j’ai avec Kubrick : dès qu’il a une bonne idée de mise en scène, il va la placer partout dans son film jusqu’à épuisement. Dans ce film, c’est de la lenteur dont il va abuser. Elle a certes créé un sentiment de fascination tout au long du film, mais dans certaines scènes, elle est tellement injustifiée que ça devient énervant (
la mort de Pool
, les dix secondes à attendre que le cockpit dans lequel Dave et Frank veulent s’isoler
pour échapper à la vigilance d’Hal 9000
, fasse un tour sur lui-même et s’ouvre). Cette lenteur trop longue (oui ça se dit !) va aussi provoquer une baisse d’attention de notre part lors d’une des scènes les plus impressionnantes du film : l’aspiration dans une sorte de
tunnel interdimensionnel
(ou autre chose, j’en sais rien et on ne nous le dira jamais !) où il va alors contempler des paysages colorés incroyables et inimaginables pendant dix minutes. Cette fois-ci, ce n’est pas vraiment la durée de la scène qu’il faut remettre en cause mais les images. Les effets spéciaux de « 2001 » ont beau avoir très bien vieilli (merci les remastérisations !), le voyage métaphysique n’est plus aussi impressionnant qu’à l’époque. Non seulement les paysages ne sont que des paysages naturels terrestres dont les couleurs ont été changées, mais en plus, il y a justement très peu de variété dans ces décors et le trip devient redondant. Mais c’est un défaut qu’il faut relativiser par rapport à sa date de sortie car à l’époque, tout le monde était ébahi.
Un autre problème que j’ai avec le film, c’est ses messages. En effet, même si « 2001 » ne les met pas spécialement en avant, ils existent et certains fans du film leur vouent un culte pour leur philosophie recherchée et leur critique cynique et pessimiste sur l’avenir de l’humanité (dont mon professeur de philosophie (sic) à la suite de quoi je ne le prends plus trop au sérieux…).
Bon, tout d’abord, parlons du message le plus appuyé et mis en valeur du film : les dangers de l’I.A... Un sujet intéressant bien qu’il ait déjà été abordé dans un paquet d’œuvres de S-F avant lui (les livres d’Isaac Asimov entre autres ou même Pinocchio dans un registre et un contexte différents), mais jusqu'alors peu au cinéma, l’intérêt étant donc de renouveler un peu ces thématiques ou bien en les développant un minimum. Qu’en est-il donc de « 2001 » ? Presque rien. Un débat à la « Blade Runner » portant sur « une I.A a-t-elle une conscience ? Peut-elle ressentir des choses » à la différence qu’il est inutile puisque la réponse semble évidente et qu’aucun développement n’est effectué, quelques questionnements sur les dangers que la recherche de l’efficacité peut engendrer ou notre confiance aveugle envers la technologie (plus intéressant mais peu traité)… Ce n’est pas honteux mais ce n’est ni original ni recherché.
Kubrick nous présente également une critique assez subtile de la déshumanisation de l’homme en fur et à mesure qu’il évolue. Sa mise en scène est d’ailleurs très réussie pour montrer la distance progressive des rapports humains (avec leur sommeil par exemple, où les singes dorment ensemble côte à côte dans le premier segment, où le Docteur Heywood Floyd dort cette fois seul dans sa navette mais où une hôtesse de l’air peut circuler à côté de lui sans problème dans le deuxième segment, et enfin dans le troisième segment, où les hommes sont seuls et isolés dans des caissons d’hibernation, et seul Hal 9000, une I.A, peut entrer en contact avec eux), et la régression des sentiments chez l’homme (Dave et Frank ne partagent aucun lien amical). Malgré tout, à mon sens, cette critique possède des failles puisque les contextes des différents segments sont complètement différents et comparer les réactions qu’ont le Docteur Floyd dans un environnement connu et celles de Dave dans une mission périlleuse aux enjeux extrêmement importants n’a pas de sens ! Évidemment que l’on doit faire preuve de beaucoup plus de retenue et d’abnégation dans le cas de Dave que dans celui de Floyd. En cela, je trouve que le message fonctionne peu.
En revanche, ce que j’aime dans cette vision du futur, c’est l’ambivalence de la technologie. Elle peut être montrée soit comme porteuse de progrès magnifiques (l’os de l’australopithèque, premier outil de l’homme, magnifié par la symphonie « Ainsi parlait Zarathoustra » de Richard Strauss, le « bal » des stations orbitales, sublimée par le « Beau Danube Bleu » de Johann Strauss) et également dangereuse (l’os peut être une arme, l’avancée technologique (Hal 9000) peut être dangereuse). Kubrick n’est pas tombé dans le piège de nous exposer une vision uniquement pessimiste du futur et de la technologie, et il le fait avec ce qu’il faut de subtilité.
Finalement, je ne peux pas le nier, « 2001, L’Odyssée de l’Espace » est un grand film de science-fiction qui a proposé une thématique générale audacieuse, intelligente et originale. C’est un film unique de par son ambiance et sa mise en scène énigmatiques qui ont révolutionné les codes de la construction cinématographique du futur et ont proposé un visuel inventif reconnaissable entre tous. Malgré tout, le film n’est pas sans défaut et n’est certainement pas le plus grand film de l’histoire de la science-fiction. On a trop tendance à l’ériger comme une référence philosophique ou à crier au génie pour chaque plan ou raccord du film, dont certains sont pourtant banals, ce qui a provoqué chez moi, pendant un temps, une forte antipathie envers lui. Mais il faut prendre « 2001, L’Odyssée de l’Espace » pour ce qu’il est : un film expérimental, une œuvre d’une ambition folle qui a su parfaitement concilier exploit technique et réussite tant sur le plan artistique que symbolique. Incontournable !