Il n'est pas très difficile de comprendre la marque qu'a laissée Stanley Kubrick sur ses contemporains, en apposant son talent multi-facettes sur des projets d'une totale démesure. Ici, il signe une odyssée spatiale alors même que l'Homme ignore tout d'une concrète visite hors de l'atmosphère, ou presque, puisque Neil Armstrong n'a encore jamais foulé un autre sol que celui de cette bonne vieille Terre. Aujourd'hui, l'impact a nettement diminué, puisque le maître a fait des émules, qui disposant de moyens plus considérables, ont eux-aussi tenté une exploration spectaculaire de l'espace (sans pour autant innover ou surprendre autant que 2001). Cette oeuvre un poil mégalomane se découpe en plusieurs parties, qui se gonflent d'un symbolisme de plus en plus étoffé, jusqu'à devenir la clé de voûte de l'ensemble et en éclipser le récit. Kubrick s'attache d'abord à dessiner une vision équivoque de l'évolution humaine, jusqu'à traiter de ses limites et des défis auxquels l'espèce devra faire face (Gravity tentera succinctement de de réitérer l'expérience, mais de façon nettement plus naïve et auto-protectrice). Si cette moitié est fine et riche en enseignements, la suite devient nettement plus opaque, moyen pour Kubrick de nous signifier qu'il spécule et sans doute d'avouer que lui même n'a pas de réponses. Le trip devient alors hallucinatoire et hallucinogène (bien qu'un peu kitsch, c'est vrai), moment sans doute le plus inoubliable du film, bien que je puisse comprendre qu'il agace. Louis Francisque Lélut, médecin et philosophe du XIXème siècle, parlait de "confins", où, "pour ainsi dire, au point de contact des nerfs et de l'âme, se confondent, dans une solidarité douloureuse, la vie et la pensée". Voilà qui souligne à merveille, me semble t-il, le lien entre perception sensorielle et conceptualisation, réflexion, genèse d'idées, et à travers ça, l'idée d'une compréhension instinctive et par définition incompréhensible mais loin d'être sans effet sur le spectateur. Le genre de trucs qui vous fait dire : "whouah, c'est grand" sans pour autant que vous soyez capable de l'expliquer. Quelque chose entre sensation, sentiment et pensée. Bref, je vais peut-être un peu loin mais quoi qu'il en soit, Kubrick, qui n'a sans doute jamais lu Lélut mais n'en reste pas moins un auteur digne de ce nom, a compris le phénomène. Il se met alors, dans une séquence totalement dingue d'une bonne quinzaine de minutes, à jouer sur les sens pour affecter la pensée, en affichant une image faite de flashs colorés, de traînées lumineuses informes et d'images psychédéliques, pas loin d'être dénuées de signification apparente mais redoutablement suggestives. En définitive, c'est peut-être quand on en dit le moins (explicitement) qu'on peut le plus en dire. Je ne suis pas ici en train de louer bêtement un passage que je jugerai parfait, simplement de pointer du doigt son caractère unique, celui d'une expérience que je n'ai jamais vécu ailleurs, même si me semble t-il, Danny Boyle en a timidement tenté une approche dans Sunshine. Quoi qu'il en soit, elle est sans doute là la plus belle réussite de 2001, faire visiter au spectateur les confins de sa propre psyché et de la nature de son existence autant que ceux du cosmos. Enfin, comment oublier le génie, perceptible de tous, de l'américain quand il cherche à filmer l'absence de certitudes stables et se met en tête (bien évidemment, le sujet s'y prêtait) de les matérialiser par une absence de repères spatiaux. La caméra s'affranchit alors de toute limite, pour un résultat impressionnant, où les décors bougent sans cesse et où on ne distingue plus le sens de la gravité. Même si on ne comprend pas le propos qu'elle illustre, où même si on le comprend de travers (ce qui est peut-être mon cas, mais qu'importe, je m'en fous pas mal) la virtuosité de Kubrick reste marquante. Il est donc dommage que 2001 souffre de longueurs, que l'on ne peut malheureusement pas oublier si aisément. Le film n'est pas nécessairement plaisant, mais simplement marquant. Bref, résumons en un mot ; unique. Car si je cherche par une énumération à retranscrire tout que que 2001 m'inspire, j'ai bien peur de recommencer à pérorer indéfiniment.