Enragé : les secrets du tournage

Le rôle tenu par Russell Crowe a d'abord été proposé à Nicolas Cage mais ce dernier a refusé.

Quand Russell Crowe a découvert le scénario, sa première réaction a été de se dire : "C'est hors de question ! Je ne tournerai jamais un film qui me fout autant la trouille ! Et ce personnage est abominable ! Mais en réfléchissant à ma réaction, je me suis dit 'et pourquoi donc renoncer à un tel projet ? Au contraire, il correspond à ce que je recherche – me lancer de nouveaux défis'". Pour le réalisateur Derrick Borte, le postulat de départ résonnait très fort. "C'est le genre de scénario qu'on ne peut pas lâcher avant d'arriver au bout", explique-t-il. "Même si l'intrigue s'attache aux conséquences extrêmes de l'agressivité au volant, le film explore avec sensibilité les liens fragiles qui permettent aux sociétés de rester unies et la part d'ombre qui sommeille chez beaucoup d'êtres humains. On a tous connu ce qu'on peut qualifier de 'sales journées' et le film montre comment, dans ce contexte, nos pulsions peuvent conduire à l'irréparable".

Derrick Borte a coécrit et réalisé American Dreamer, présenté au festival de Los Angeles en 2018. Interprété par Jim Gaffigan dans son tout premier rôle dramatique, le film s'attache à un conducteur malchanceux qui arrondit les fins de mois en faisant le chauffeur pour un dealer à la petite semaine. En 2016, il réalise London Town avec Daniel Huttlestone dans le rôle d'un adolescent en proie au harcèlement de ses camarades et à une famille dysfonctionnelle. Inspiré par les Clash, le garçon devient lui-même punk et finit par rencontrer Joe Strummer des Clash. En 2009, Borte écrit, produit et réalise La Famille Jones, avec Demi Moore, David Duchovny, Amber Heard, et Ben Hollingsworth. Le film raconte l'histoire d'une famille en apparence parfaite qui s'installe dans un quartier résidentiel… sauf qu'elle ne correspond pas tout à fait l'image qu'elle donne à voir. Avant de se tourner vers le cinéma, Borte a dirigé des campagnes télé et digitales pour des marques comme Jaguar, Volkswagen, Barbasol, Betty Crocker, et Afrin.

Né à Louisville, dans le Kentucky, Carl Ellsworth s'est passionné pour le cinéma dès l'âge de 5 ans grâce à la saga Star Wars, puis, dix ans plus tard, grâce à Die Hard. Après avoir étudié le cinéma et l'écriture scénaristique à la Southern Illinois University, il s'installe à Los Angeles. Il écrit des épisodes des séries Buffy contre les vampires et Xena la guerrière, avant de signer le scénario de Red Eye de Wes Craven, avec Rachel McAdams. Puis, il coécrit Paranoiak, avec Shia LaBeouf, et le remake de La Dernière maison sur la gauche, qualifié par Stephen King de "meilleur film d'horreur du XXIème siècle". Il a également signé des épisodes de The Clone Wars et L'Aube rouge, avec Chris Hemsworth.

Le scénariste Carl Ellsworth est très amateur de ces thrillers psychologiques parfaitement maîtrisés où le spectateur est confronté à une situation terrifiante qu'il a lui-même pu vivre dans son quotidien. Après avoir constaté, aux quatre coins du monde, que l'agressivité au volant pouvait dégénérer, il s'est demandé pourquoi tant de gens vivaient avec une telle colère enfouie au fond d'eux-mêmes. "J'avais envie, avec Enragé, d'écrire une histoire qui se déroule en temps réel et dont le rythme et la tension ne se relâchent qu'à la toute dernière image", souligne le scénariste.

Aux yeux du réalisateur Derrick Borte, l'Homme (Russell Crowe) est comparable au requin des Dents de la mer : un tueur imprévisible, rapide et marquant les esprits. C'est pourquoi le personnage n'a pas de nom. Il se contente d'être l'Homme, un tueur d'une force inouïe. "Il est totalement terrifiant", confie Crowe. "Au tout début, il surgit par derrière, on ne sait pas où il est, et puis il se rapproche, frappe sa victime et disparaît jusqu'à la prochaine fois. Il ne lâche pas sa proie. Rachel n'aurait pas dû passer ses nerfs sur lui – et encore moins ce jour-là. Quant à lui, il se moque des conséquences de ses actes puisqu'il a déjà franchi la ligne jaune". En effet, quand on fait sa connaissance, il est déjà au fond du gouffre. Il a perdu son boulot, sa femme et il s'apprête à perdre également sa maison – il n'est plus en capacité d'éprouver la moindre empathie à l'égard de quiconque. Il ne croit plus en rien et il a le sentiment que tout le monde l'a abandonné. De son point de vue, il n'a plus rien à perdre.

L'Homme (Russell Crowe) est un personnage universel. Son absence de patronyme résonne chez tous ceux qui se sentent "invisibles" et désabusés. Après avoir subi plusieurs échecs personnels, il a coupé tout lien social et a perdu sa lucidité. Il a le sentiment de ne plus être à la hauteur et d'être incompris. "Dans Enragé, alors que l'Homme est au volant un jour de grande chaleur, quelqu'un se met à klaxonner derrière lui et il pète les plombs", explique la proudctrice Lisa Ellzey. "Dès lors, plus rien ne peut l'empêcher de se faire remarquer et de se faire entendre". Derrick Borte ajoute : "Il y a beaucoup de gens en colère dans le monde, surtout à l'heure actuelle. J'ai le sentiment que l'agressivité au volant n'est que l'un des symptômes d'une société où les gens sont désormais incapables de parler de leurs différends de manière courtoise et constructive".

Pour le personnage de Rachel, Derrick Borte a auditionné une bonne soixantaine d'actrices avant de découvrir Caren Pistorius. "J'étais consciente qu'elle avait cette part de vulnérabilité, cette authenticité et cette capacité à susciter l'empathie qui pouvaient toucher n'importe quel spectateur. Caren a su convaincre tout le monde", se remémore la productrice Lisa Ellzey. "Il y avait chez elle un mélange de fragilité et de force qui correspondait parfaitement au rôle. Quand elle a quitté la pièce, Borte s'est tourné vers moi et m'a dit : 'On tient notre Rachel, non ?' J'étais d'accord avec lui". "La manière dont Russell parle d'elle est extraordinaire", poursuit la productrice. "Quand on filme son visage, on ne peut pas se tromper d'axe de caméra. Elle possède une grande beauté tout en étant d'une incroyable intelligence. En témoigne la manière dont elle a su analyser son personnage et lui imaginer une personnalité grâce à laquelle Rachel ne se résume pas à une femme constamment terrorisée. Elle est complexe. Elle passe par toute une palette d'émotions puisque c'est parfois son instinct maternel qui prend le dessus et, à d'autres moments, sa colère qui la submerge".