La civilité est un gage de respect qu’on ne peut entretenir dans un monde qui préfère défendre la saveur du stress et de la colère. Pas de raccourcis possibles sur les routes, comme sur chaque trajet vers l’autonomie ou la délivrance. Derrick Borte, sur l’appui de son scénariste Carl Ellsworth, arpente ces méandres du quotidien, qui frappent notamment les conducteurs en tout genre. Et dans cet environnement urbain, nous ne sommes pas loin des lois de la jungle, où les véhicules contribuent à proposer un décor crédible, ce qui n’est pas toujours le cas de l’intrigue qui nous intéresse. Et quand bien même le pitch enfonce la pédale et file droit dans une série B qu’il assume, l’ensemble de l’œuvre reste minimaliste et ne semble pas pouvoir orienter toute cette bonne énergie dans un discours pertinent. Le fond aura beau intéressé, mais la forme peut en repousser plus d’un.
On cultive alors la non-réaction, comme un geste condamnable et le récit parsème habilement ces instants propres à notre temps, propre à nos défauts. Ce qui est le plus dramatique, c’est que nous en stockons une partie dans nos outils technologiques, dont on détourne l’usage et de la même manière que les codes du harcèlement morale pour mieux nous surprendre. Malheureusement, la mise en scène pense trop et anticipe trop ses atouts, jusqu’à les mettre en avant et avec insistance. Le nombre de fusils de Tchekhov s’accumulent sans plus d’originalité et les détours que l’on prendra en cours de route ne seront alors plus aussi savoureuses. La maladresse est si évidente qu’on ne peut la fuir, à l’image d’un fou furieux plaqué dans le rétroviseur. Pourtant, le film ne cherche pas à franchir davantage les limites et se tiendra au postulat initial pour alimenter son débat sur notre agressivité spontanée.
Les accidents se succèdent et rien n’arrête la course poursuite entre Rachel, campée par une impeccable Caren Pistorius, et Le personnage anonyme de Russell Crowe. En effet, il incarne un des nombreux antagonistes créés par la société, celle-ci même qui nourrit l’excès de vitesse et la gestion du temps comme de la compote pour des marginaux qui se battent pour un peu de dignité. Mais tout le monde ne peut prétendre à cette observation, dès lord que le générique d’ouverture nous dévoile les conséquences d’actes irresponsables et pourtant compréhensibles dans l’esprit des agresseurs et des victimes. Mais personne n’est vraiment innocent dans ce monde et on nous le rappelle avec une incroyable concession, qui aura beau être cruelle voire odieuse, mais qui caresse les rouages de la réalité. Donc pas de politesse ni de construction raisonnable possible afin de résoudre les méandres du quotidien.
De cette façon, « Enragé » (Unhinged) démontre qu’il n’est plus possible de croire en une justice équitable, car elle ne peut se faire que soi-même sur les routes, l’estomac accroché à son volant, son volant accroché à sa vie. Une police inefficace, voire absente, un crime filmé et énormément de passivité, le film s’accroche à la symbolique qu’il souhaite combattre, mais il perd rapidement de vue son objectif, passé un premier acte plutôt convaincant. Par ailleurs rien à voir avec « Duel » ou peut-être même la voiture maléfique « Christine », car l’aspect terrifiant de cette entité qui traque sans merci une mère en galère n’a pas lieu d’être. Comme quoi, il ne suffit pas de jouer sur les métamorphoses pour convaincre un auditoire, trop malin ou trop à l’aise avec un sujet qu’il domine presque par l’unique perception qu’il nous est donné de contempler et que l’on ne prend pas le temps de bien nuancer. La route sera longue jusqu’à ce que l’idée reçue ne soit que reformulée dans un plaisir agressif, qui y laissera ses crocs au passage.