« Quel art reste-t-il quand tout est automatisé ? »
C’était ce que semblait dire à un moment donné l’un des personnages de ce « Boîte noire » ; un pilote aigri par toutes ces cloisons imposées tout autour de lui.
Pilotage automatique. Programmes d’ajustements. Intelligence artificielle… Petit à petit le chevalier du ciel se retrouve contraint de constater que sa monture fonctionne toute seule ; qu’on n’a déjà plus vraiment besoin de lui ; et que bientôt ce sera à son tour de tirer sa révérence…
Étonnamment j’ai trouvé que cette situation faisait écho – presque involontairement – à ce qu’était ce film.
Tel un bel et gros porteur, « Boîte noire » est un appareil fort bien conçu, fort bien calibré, et le plus sûr garant d’un voyage confortable et serein…
…Et sur ce point je ne dis pas : c’est vrai que c’est agréable de faire un voyage confortable et serein.
Ah ça ! Pas de risque de turbulence avec ce film.
Tout est sous-contrôle, millimétré, rien n’est là par hasard… Que ce soit dans la manière de faire cheminer l’intrigue que de la façon de la mettre en image et en son, tout est optimisé pour marcher au mieux ; pour faire du thriller efficace.
Entre les moments d’analyses acoustiques particulièrement prenants (difficile d’imaginer que le récent « Chant du loup » n’ait pas été une source d’inspiration pour Yann Gozlan) et cet habile architecture scénaristique qui enchaine les fausses pistes sans jamais malmener le rythme, le voyage est indubitablement sans accroc.
Propre. Net.
On applaudirait presque à l’atterrissage…
…Sauf que c’est peut-être aussi un peu le problème de ce « Boîte noire ».
C’est trop propre. Trop net. Ça reste dans son couloir aérien sans jamais vraiment déroger à aucune règle.
Je ne dis pas que j’attendais vrilles et loopings non plus, mais quand on vient voir un thriller, ce n’est tout de même pas pour se retrouver au final confortablement installé en classe affaires.
Pourtant, à un moment donné, le film a eu son opportunité.
Il a eu son créneau pour faire quelque-chose de grand ; pour atteindre une autre dimension.
Et c’est vraiment terrible parce que – pour le coup – tout était tellement maitrisé depuis le départ que, si à cet instant précis Gozlan avait décidé de décrocher, j’aurais alors crié au génie.
Ce moment c’est celui durant lequel le doute est jeté sur le spectateur concernant la véracité de la théorie de Mathieu.
…Et si en fait il se trompait ?
…Et s’il était en train de se construire toute une théorie conspi depuis le début ?
Ah mais là, sitôt « Boîte noire » s'est lancé sur cette piste-là qu'il venait soudainement de faire sauter les issues de secours en plein vol !
Pas de dépressurisation. Vortex dans la cabine et puis chute libre !
Et si sur ce point Gozlan avait su aller jusqu’au bout, alors tout le monde se serait retrouvé pris de court et – en plus de ça – on se serait alors tous retrouvé embarqué dans un sujet plus que d’actualité.
Non mais franchement ! Vous imaginez deux minutes ce qu’aurait été ce film avec une fin ambiguë qui ne tranche rien à la « The Thing » ou à la « Inception » ?
RaaaaAAAAAaaaah mais quelle putain d’occasion manquée !
Pourtant l’idée était là ! La rampe était toute installée par le scénar. Il n’y avait plus qu’à envoyer ! …
…Mais non.
En fin de compte Gozlan a juste mimé les turbulences et puis ensuite il a remis le pilote automatique en marche. Alors le thriller a pu reprendre son couloir aérien comme si de rien était.
« Vous pouvez détacher les ceintures… »
Alors oui, d’accord, c’est sûr, c’est vrai : c’est efficace.
Je ne vais pas dire le contraire. Il n’y a dans ces 2h09 de spectacle ni faute de goût, ni fausse note, ni manque de respect à l’égard des codes.
…Bon, par contre peut-être que le coup du mot de passe sur un post-il on aurait pu s'en passer. Mais je chipote un peu.
Le scénario est d'ailleurs même tellement sûr de lui qu'il se permet une petite facétie finale histoire de rajouter la petite dose de piquant qui aurait pu manquer à ce final déjà trop prévisible…
…En l’occurrence ici, la mort du héros.
Mais bon, que vaut vraiment un petit frisson quand on sait que l’appareil est déjà sol ?
Et surtout que pèse a-t-il à côté de cette promesse trahie à côté de laquelle le film a sciemment décidé de passer ?
M’enfin bon…
Malgré ça, reste cependant ce constat : c’est efficace. C’est propre. C’est agréable…
Donc contentons-nous déjà de ça et ne bondons pas notre plaisir car – au fond c’est vrai - les thrillers efficaces, aujourd’hui, ça ne coure plus tant que ça les aéroports.
Il n’empêche que – quand bien même ai-je été satisfait d’être arrivé au final un bon port – je continue de penser à ce pilote aigri et à ce qu’il disait.
Oui c’est vrai que c’est bien confortable les appareils tout automatisés.
C’est confortable certes, mais c’est aussi quand même sacrément conformiste.
Et de là demeure dès lors une question en suspens…
…Quel art reste-t-il quand tout est automatisé ?