Les Etoiles Vagabondes ou le coup de maître de Nekfeu, un petit chef-d'oeuvre d'impudeur.
1h30 de film, 90 minutes desquelles on ne décroche pas, allant d'émotions en émotions, de découvertes en découvertes.
Le film s'ouvre sur des coulisses de festivals, à quelques minutes de monter sur scène, dans une atmosphère chaude et anxiogène, une première scène qui se clôt par ces mots de l'artiste : "Ce soir, j'ai joué devant 80 000 personnes, pourtant, je ne me suis jamais senti aussi seul."
Un coup de poignard au cœur pour les fans, on ne s'attendait peut être pas à une entrée en matière si brutale. A partir de là, les chapitres et les explications s’enchaînent, le début est sombre et triste mais la lumière se dévoile peu à peu.
Ce documentaire n'est pas un documentaire musical sur la conception d'un album comme les autres, non, parce que Nekfeu ne fait justement pas comme les autres. On suit le rappeur en Grèce, sur les traces de son ascendance paternelle dans le petit village de son île ("Parfois faut fuir les grandes villes où personne ne vit la joie"), puis au Japon, dans les rues de Tokyo, ou sur le chemin du temple perdu dans la forêt. Et enfin aux Etats-Unis, à Los Angeles puis à la Nouvelle-Orléans, des destinations ou, comme à chaque fois, on voit le rappeur et son équipe travailler sur l'album, et l'on découvre par la même occasion un peu plus Nekfeu.
La voix-off, narration de Nekfeu lui-même, offre de la consistance et de la profondeur aux images, permet de rentrer dans l'intériorité de l'artiste, qui se livre comme jamais. Les mots sont réfléchis, les phrases ciselées, souvent pour toucher là où ça fait mal, en se voulant le plus juste possible. Et c'est pour cela que l'on peut tirer le chapeau à Nekfeu, car au-delà du fait d'avoir laissé une caméra le suivre, il a surtout fait un long cheminement d'introspection sur lui-même au point de nous révéler sans détours ses faiblesses et ses failles : "depuis bientôt 10 ans sur les routes, je me suis jeté dans le succès en ayant de trop peur de revivre la galère que j'avais si bien connu", "je n'y arrivais pas, alors j'ai préféré faire ce que je sais faire de mieux : fuir", "les plus grandes souffrances, on n'en guérit jamais et on n'accepte pas de leur donner une explication rationnelle", etc. Peu en sont capables, il l'a fait.
Le film se veut explicatif, mais toutes les réponses ne sont pas apportées : par exemple, le synopsis sur les deux étoiles ne relate en aucun cas le film et l'on a du mal à faire le lien. Il est pourtant là, il faut le chercher, arriver à lire entre lignes, car Nekfeu ne voudra jamais expliciter ce drame, auquel on trouve des allusions dans le film : une étoile filante, qui, dans quelques plans, trace sa route en arrière plan.
Le film ne plaira certainement pas à tout le monde, il reste assez amateur et passionné, car il se veut spontané et sincère, l'auteur n'ayant pas plus d'ambitions que celles de vouloir apporter quelques réponses à son public.
Les prises de position sont nombreuses, comme dans sa musique. On ressort du film enrichis : qui connaissait l'existence du rébétiko, musique populaire grecque apparue dans les années 20 suite à l'exil des populations d'Asie Mineure, les dizaines de milliers de gilets de sauvetages échoués sur la plage d'une île paisible, les histoires des rescapés, les pensées d'un vieil homme japonais se réchauffant les mains sur le feu..?
Ce film est l'occasion de rentrer quelques peu dans l'intimité de Nekfeu : de découvrir sa grand-mère, son histoire, les trois autres langues qu'il parle couramment en plus du français, son caractère, son besoin de toujours faire de son mieux.. et de mieux découvrir ses compères, que les fans connaissaient déjà.
L'aspect musical est tout aussi incroyable, les noms de chapitres correspondent à des titres de l'album dont les extraits passent et hérissent les poils tant découvrir l'album par bribes est un moment intense. De si beaux morceaux balancés dans une salle de cinéma, ça fait quelque chose.
Le film n'éclaire pas seulement l'album éponyme mais l'oeuvre entière du rappeur, tant on y retrouve tout l'amour et les tracas qui l'animent, depuis toujours.
J'aurais peut être aimé une dimension un peu plus biopic, plus d'explications quant au processus d'écriture, etc. mais les 100 000 entrées sont largement méritées, les images sont belles, la musique est belle, la langue est belle, le discours, tout. Merci Nekfeu.