"Pearl Harbor" est au cinéma ce que le raid japonais du 7 décembre 1941 fut pour l'Histoire : une "infamie" à jamais condamnable. Après trois heures d'un spectacle visuel consternant quand il n'est pas détestable, une évidence s'impose : Michael Bay a touché le fond. Bien sûr, nombreux sont ceux qui pensent que le réalisateur n'a jamais vraiment eu la moindre parcelle de talent. Certes, mais il faut reconnaître à ses opus précédents (et notamment "The Rock") une réelle efficacité. Or, dans "Pearl Harbor", rien mais alors rien ne fonctionne et surtout pas la fameuse attaque aérienne qui fit entrer les Etats-Unis dans la Seconde Guerre Mondiale. Et pour cause, c'est loin d'être le centre d'intérêt majeur de Michael Bay. Parachuté au beau milieu du triangle amoureux qui sert de moteur au récit, le bombardement de la flotte américaine est certes spectaculaire mais ressemble plus à une longue péripétie à la dramaturgie bien faible. La sauce ne prend pas et ce malgré la multitude de dollars utilisée pour cette séquence (une grande partie des 135 millions du budget est de toute évidence sur l'écran). Alors que la première partie aurait dû faire monter la tension précédant cette attaque inévitable en expliquant de manière implacable les enjeux de la situation, le film se consacre avant tout à évoquer l'histoire d'amour entre un jeune officier, Rafe McCawley (Ben Affleck toujours aussi falot) et une jolie infirmière, Evelyn Stewart (Kate Beckinsale, plutôt convaincante) ainsi que l'amitié qui unit Rafe à son ami de toujours (et futur rival) Danny Walker (Josh Hartnett, transparent). De toute évidence, Michael Bay tente de jouer à fond la carte de "Titanic" mêlant une histoire d'amour aux événements historiques. Dans cette volonté assumée de faire un mélo flamboyant, on ne peut s'empêcher de penser que le réalisateur recherche une certaine forme de respectabilité et de reconnaissance artistique. Dire qu'il se montre maladroit dans sa tentative d'insuffler à son récit un semblant de lyrisme et d'émotion est un sacré euphémisme. Il faut voir le flashback sur la rencontre entre Rafe et Evelyn pour comprendre à quel point Michael Bay sera à jamais incapable d'avoir le moindre sens de la comédie : la scène est totalement risible et significative du peu d'intérêt qu'il réussit à faire naître de ses personnages et de leurs tourments. Ainsi quand arrive enfin l'attaque, on est loin d'être installés dans le film. Les quelques scènes accordées au camp japonais ne sont pas là pour arranger les choses, bien au contraire. Le mot "cliché" semble bien faible en comparaison de la caricature que nous impose "Pearl Harbor". Tout juste a-t-on le temps de pouffer de rire à l'énoncé de la phrase de l'amiral Yamamoto : "si j'étais un homme intelligent, j'aurais su éviter d'en arriver là". Car, alors que
l'Amérique est en train de prendre la raclée la plus terrible de son histoire, le film réussit à détourner l'intérêt du spectateur du massacre par un subterfuge scénaristique honteux. S'appuyant sur des faits historiques exacts, l'intrigue se déplace sur Rafe et Danny qui au risque de leur vie vont s'envoler pour pourchasser et détruire sept avions japonais. On s'éloigne ainsi de l'évocation du massacre pour se retrouver dans un épisode survitaminé et visuellement impressionnant des "Têtes brûlées". Cela a un avantage : permettre de faire passer la pilule aux américains et transformer une défaite cuisante en une petite victoire
. Sous ses attraits de spectacle flamboyant, "Pearl Harbor" a de sérieuses tendances à faire dans la démagogie et dans le patriotisme exacerbés. Et ce n'est pas la dernière partie du film qui viendra changer cette impression navrante. Car "Pearl Harbor" ne pouvait pas se finir sur le désastre du 7 décembre 1941. Non, il fallait montrer
la riposte américaine afin d'assurer une rentrée financière importante au regard du budget pharaonique, les américains ne pouvant pas perdre. On a alors le droit à la préparation et au raid de 1942 sur Tokyo. Si l'héroïsme n'avait pu vraiment s'exprimer durant l'attaque de Pearl Harbor, le final offre à nos protagonistes tout le loisir de se rattraper.
Au passage, l'histoire se permet de voler
la notion de kamikaze cher au code de l'honneur japonais pour la transposer dans la bouche du Colonel Jimmy Doolittle (Alec Baldwin)
. Détestable ! Je n'ai rien contre un film qui exergue le patriotisme américain mais trop c'est trop ! Michael Bay n'a pas su (ou voulu) s'arrêter. Le discours final est à ce titre consternant et totalement risible, tout comme l'est le passage où
un Roosevelt paralysé (méconnaissable John Voight) se lève de sa chaise pour démontrer à ses officiers que rien n'est impossible
. Quant au plan du
chien réussissant à échapper au naufrage de l'Arizona au milieu de la multitude de cadavres, il en dit long sur le respect et la compassion que peut avoir Bay sur les milliers de soldats qui moururent ce jour-là
. Le film est ainsi plombé par ses dialogues, ses séquences (mention spéciale au flou artistique que n'aurait pas renié David Hamilton lors des séquences à l'infirmerie) et ses plans souvent ridicules (ah le plan sous-marin au ralenti du drapeau américain troué en train de couler !). Chaque essai filmique se conclut par un échec cuisant. Bref, de toute évidence, le responsable principal de l'échec artistique total de "Pearl Harbor" est bien sûr Michael Bay. Le réalisateur, bien aidé par son scénariste Randall Wallace, à mille lieux de son inspiration de "Braveheart", démontre une capacité à faire n'importe quoi qui atteint des sommets. Sous ses airs de technicien doué (il faut lui reconnaître un certain savoir-faire) mais peu inspiré, Michael Bay se révèle être un bien piètre conteur d'histoire. Tout le contraire d'un James Cameron !