Vu à sa sortie, j’avais été impressionné par l’incarnation hantée d’Isabelle Adjani. La scène dans le couloir du métro m’avait scotché, j’avais mal pour elle et d’autant plus que j’avais le souvenir que l’actrice avait frappé le mur tant elle était prise dans le tourbillon de la folie de son personnage.
Etait-ce voulu ?
En le revoyant, et depuis, en lisant différents témoignages, je ne m’étais pas trompé sur la folie du personnage qui avait rongé l’actrice, et sa collision contre le mur était incontrôlée : « J’entends encore le bruit de son crâne sur la faïence (…) Elle s’est effondrée à demi-inconsciente sur le sol. Et là l’équipe a refusé tout net de continuer… » (Bruno Nuytten).
J’en avais pas compris tous les enjeux, je me rappelais ces tons bleus dans un Berlin abandonné et laid, et un Heinz Bennett aussi déjanté que l’actrice mais nettement moins hystérique.
Par contre, black-out sur le personnage de Mark sous les traits de Sam Neill et des doubles.
Je savais qu’Andrzej Zulawski était un réalisateur de l’extrême dans sa direction d’acteur notamment (mon fameux cheval de bataille), que son récit était le fruit d’un divorce douloureux, la traduction d’un fantasme violent pour exprimer sa colère, sa souffrance.
Il choisit Berlin, côté mur, pour aussi nous rappeler qu’il vient de l’autre côté de ce mur, synonyme d’oppression soviétique.
Zulawsky ne fait que traduire, sous les effets de l’alcool, sa déception, sa colère, sa souffrance et sa rage avec une violence outrancière voire horrifique.
Quarante ans après, je perçois mieux la symbolique des doubles Anna/Hélène et Mark, double comme le mur qui sépare deux Berlin.
Je comprends ou j’interprète ?
« Possession » est comme un tableau, c’est un ressenti. On est touché ou on ne l’est pas. Le tableau ne s’éternise pas comme un film. L’émotion est pratiquement immédiate. Comme un coup de foudre.
ll n’est pas toujours nécessaire de tout comprendre, de s’acharner à comprendre. Parfois, il est bon de ne pas chercher à comprendre. Le coup de foudre, c’est ça, on reçoit le coup, ça tombe sur soi sans s’y attendre. C’est comme ça. On est séduit, point barre. Pourquoi chercher une explication ?
« Possession », peinture macabre m’a touché et peu importe si je comprends ou ne comprends pas tout, peu importe si j’interprète mal, si je suis à côté de la plaque.
Au-delà du double, du double jeu des deux acteurs, des deux Berlin, « Possession » illustre aussi la séparation, séparation de Berlin avec son mur, séparation du couple Anna et Mark, séparation du bien et du mal, de l’humain et du monstre.
Et Isabelle Adjani est l’ambassadrice, si je puis dire, de la folie dévastatrice, destructrice de son metteur en scène Andrzej Zulawski, lequel règle sans doute ses comptes personnels comme son divorce ; à cela s’ajoute une colère contre le bloc soviétique d’où il s’est échappé, coupable d’accoucher de monstres comme celui que nourrit Anna.
A voir et à revoir, à découvrir et à redécouvrir pour l’interprétation magistrale (ou de malade !) d’Isabelle Adjani.