Pour un premier pas dans le long métrage cinématographique, c'est un coup de maître. Florian Zeller a gardé du théâtre les notions de temps, de lieu et un nombre limité de personnages (3) qui en réalité du fait du parti adopté se démultiplient en 6 voir 8 acteurs. "Dans la tête" et au travers des yeux et des interprétations que le personnage central a des lieux (le hall d'entrée, la cuisine, le salon, la chambre) et des évènements (on va manger du poulet ce soir ..., présentation d'une nouvelle aide à domicile), admirablement joué par Anthony Hopkins (pouvait-on s'attendre à moins ?), la glissage entre conscience, maîtrise et autorité qui caractérisent le personnage se fait progressivement sous nos yeux vers une perte de repères dont le sens devient confus, jusqu'à se limiter à quelques objets (un tableau, sa montre) pour devenir une bouillie où l'homme brillant et autoritaire va peu à peu retourner au néant, celui de l'enfant juste né.
L'option adoptée par le réalisateur est celle du "Jour de la Marmotte", répétition syncopée de quelques moments et évènements, tout au long desquels les lieux évoluent subrepticement jusqu'à ne plus être reconnaissables par Anthony, les discours perdent de leur sens, la mémoire devient plus floue, de plus en plus inventée ou collée à des fantasmes.
La force du film vient aussi du fait que les deux autres personnages, la fille (Anne) et le beau-fils (Paul), rejouent la même scène successivement avec des nuances fondamentales (at différents acteurs) qui font tout changer et lors desquelles, si on ressent et on perçoit les sentiments qu'ils éprouvent dans la situation, n'autorise jamais à décider de laquelle est la vraie version ;.. Probablement aucune .... Toutes pouvant être à un moment ou un autre issues de l'imaginaire branlant du vieil homme.
Mais cette interprétation perd malgré tout de son sens, notamment à cause du rôle de la fille (Anne interprétée par Olivia Colman) qui nous montre le désarroi et la souffrance de cette femme devant la disparition progressive de son père, perception qui ne peut pas être celle d'Anthony. On est donc dedans-dehors la tête d'Anthony.
Je me demande vraiment comment Zeller s'y est pris pour que le spectateur puisse regarder le film tout du long en sachant l'inéluctable, sans s'effondrer en larmes au bout de 20 mn, peut-être parce qu'il est trop occupé à tenter de décrypter laquelle des versions présentées est la bonne ? Malgré le drame qui se joue, il y a quelque chose de paisible, peut-être justement du fait de l'inéluctable ?
Quoi qu'il en soit, je vais lire le livre dont le film est tiré.