Plogoff, ses pierres et ses fusils c'est un voyage dans le temps. Le temps où les gens savaient se solidariser lorsqu'une intrusion dangereuse menaçait la cohésion du groupe. Des images brutes, des témoignages comme il nous en manque cruellement de nos jours. Il ne fut certainement pas aisé de monter le film vu la quantité d'images à gérer. Mais pourtant, au final, il y a un témoignage rare et... enthousiasmant. Il fallait une sensibilité pour ce film. Il est né grâce à Nicole et Félix Le Garrec justement très sensibles. A voir et revoir...
Le documentaire est tourné pendant l’enquête d’utilité publique concernant la future centrale nucléaire, du 31 janvier au 14 mars 1980, soit 6 semaines, dans la commune de Plogoff, 2 300 habitants à l'époque (1 230 h en 2016). Le conseil municipal, dont le maire (P.S.) est Jean-Marie Kerloc’h, ancien marin de l’Etat, est contre, refuse d’accueillir l’enquête et en détruit les documents le 31 janvier qui est aussi une journée ville morte. La population se relaie chaque jour devant les gendarmes chargés de protéger les constructions provisoires abritant l’enquête. Cela dégénère avec jets de cailloux (à la main ou au lance-pierres) de la part des habitants contre les gardes mobiles armés de fusils et de grenades lacrymogènes. Des voitures brûlent, 11 personnes sont arrêtées et les habitants décident d’isoler Plogoff en bloquant les routes d’accès par des carcasses de voitures, des rochers et des arbres abattus. Ils vont aussi manifester devant le palais de justice de Quimper. Trois commissaires viennent à Plogoff pour recueillir l’avis des habitants mais ils sont hués et doivent repartir, tout en rendant un avis favorable à la centrale nucléaire. La journée du 29 février reste terrible par la violence des affrontements. Le 14 mars, 50 000 personnes se réunissent devant le tribunal et sont rejoints par des opposants au camp militaire du Larzac. Finalement, le projet de construction de la centrale nucléaire est abrogé (ainsi que l’extension du camp du Larzac) par François Mitterrand, fraichement élu, le 3 juin 1981. Voilà un bel exemple de confusion entre forme et fond. Le fait d’avoir imaginé la construction d’une centrale nucléaire à la pointe du Raz, l’un des plus beaux sites naturels de France, est impensable et aberrant. Relater une cause juste ne fait pas, automatiquement, du documentaire, un bon film. C’est avant tout des images ayant valeur d’archives car le documentaire relève plus du film d’amateur en Super 8 mm : présence d’images instables, mise au point défaillante lors de mouvements rapides, absence de commentaires mettant en perspective le contexte mais aussi le déroulement des faits, confus par nature, surtout de nuit. Pour mémoire, le 16 mars 1978, la Bretagne a été salie par la marée noire de l’Amoco Cadiz [sujet du documentaire « Marée noire, colère rouge » (1978) de René Vautier]. Le 7 mars 1980, nouvelle marée noire avec le naufrage du pétrolier malgache Tanio, au large de l’île de Batz. Le 31 juillet 1977, une manifestation contre l’installation de la centrale nucléaire de Superphénix à Creys-Malville (Isère) s’était traduite par la mort d’un manifestant, Vital Michalon, tué par une grenade offensive. Cela n’empêche pas Superphénix d’être mis en service en janvier 1986 et d’être arrêté en décembre 1998… Malgré ses défauts, le film montre bien la solidarité intergénérationnelle à Plogoff, l’absence de leader et la création de liens entre les habitants qui ont appris à mieux se connaître, unis par une lutte commune.