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    L'image qu’on s’en fait
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    Fgiraut
    Fgiraut

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    5,0
    Publiée le 9 janvier 2023
    L’identité de la France revisitée, ou plutôt interrogée, par des images fabriquées en série de terroirs, de hauts-lieux, de sites remarquables, de territoires tels que les parcs naturels régionaux. Images exposées d'espaces parcourus à toute allure, sur un réseau, celui des autoroutes.
    On a là une question de sémiotique et de représentation des identités, entre Raymond Depardon et Fernand Braudel, ajoutons Paul Virilio pour la vitesse, car nous sommes bien dans la tension entre fixité et mobilité, tension au cœur de toutes les questions d’identité. C’est là le tour de force du film, partir d’une collection de panneaux marrons, la signalétique autoroutière dite d’animation culturelle et touristique, pour parler des représentations et recompositions identitaires françaises.
    Territorialiser l’extraterritorial, exposer du patrimoine qui s’égrène pour envisager de manière allusive et cumulative une identité nationale fantasmée, un peu comme avec les belles images sélectionnées et filmées lors la retransmission télévisée du Tour de France. Tels sont peut-être le projet de cette drôle d’exposition des panneaux patrimoniaux tout au long du réseau autoroutier français. En tout cas c’est le parti pris de Seb Coupy avec son film “L'image qu'on s'en fait” qui rentre dans la petite fabrique de la patrimonialisation via des images choisies, composées, autorisées, gagnées, sélectionnées, imposées qui, à 130 km/h, et avec plus de 1000 véhicules/heure sur certains tronçons, seront plus vues que la Joconde.

    Le film nous montre déjà qu’ils sont diversement reçus et perçus par les usagers, automobilistes locaux ou en transit. Les autochtones, outre la conception nostalgique du local à laquelle cela peut les renvoyer, y compris pour les jeunes, peuvent aussi balancer entre différentes approches scalaires. Le panneau représentant la ligne de partage des eaux au niveau national dans le Morvan entre les trois bassins méditerranéen, atlantique et de la Mer du Nord satisfait pleinement un gendarme qui y voit une information géographique d’échelle nationale bien expliquée, mais son épouse aurait souhaité une référence au local, le village ou le pays dont on parle avec cette notion abstraite. Plus loin, dans une conversation impromptue entre vraies et fausses Niçoises, une automobiliste critique de manière plus générale le design de ce parc d’attraction allusif constitué des panneaux autoroutiers patrimoniaux. Mais le film donne surtout la parole et l’image aux acteurs et actrices de la fabrique : l’artiste graphiste médiateur.rice et l’élu.e notamment. On devine d’une part le tournant graphique qui, parti au milieu des années 1970 de références très stylisées, proches de l’art cinétique en vogue en ces temps de vitesse démultipliée, s’oriente aujourd’hui vers un style davantage " bande dessinée " plus proche du story telling généralisé. D’autre part et en lien avec cette évolution on devine également la montée en puissance des collectivités locales, dans une décision certainement très technocratique au départ.
    Le beau panneau représentant Pithiviers par son église plantée en pleine Beauce céréalière et rehaussé d’un coquelicot au premier plan est disséqué dans les choix graphiques et des objets représentés. L’opposition entre un élu "En Marche" revendiquant l’incrustation sur le panneau d’une éolienne pour figurer la modernité et l’avenir, et le représentant d’une improbable confrérie revendiquant au contraire celle du gâteau éponyme, censé représenter la tradition culinaire, est à ce titre pédagogique, comme l’est la discussion sur ce qui doit ou peut représenter la Margeride dans une perspective de marketing territorial. 
    L’ingénieur, autre acteur de la fabrique, qui doit décider du où ? et du comment ?, est en revanche étrangement absent, on le devine pourtant sur des choix techniques qui sont aussi géographiques et des normes relatives à la distance du lieu, de la sortie etc. Normes qui effectuent la sélection des sites ou donne des outils pour celle-ci. Des choix ont été fait, au détriment peut être de la documentation de la question d’un point de vue techno-politique mais au profit d’une réflexion qui au-delà même de la question sémiologique des représentations travaille la dimension politique du culturel.
    Les parti-pris cinématographiques et photographiques du film appuient également ce propos en mettant en scène les panneaux plantés comme des objets statiques, de purs artefacts, toujours en position centrale dans un environnement mobile. Artefacts qui peuvent eux-mêmes devenir acteurs du film en tenant un discours via des citations projetées sur leur surface.
    La dramaturgie proposée converge vers le centre, la capitale, le niveau national, pour ramener la petite fabrique des territoires représentés sur le réseau national en son nœud géographique et mémoriel, au risque peut être d’accréditer la thèse d’un tour de France spectaculaire contemporain qui aurait in fine la même fonction que le manuel des écoles de la Troisième république: une mise en scène de la nation et ses hauts lieux mémoriels et patrimoniaux. Là où, peut être, il ne faut voir désormais que l’accumulation des images de territoires et métropoles en compétition, arbitrée par de grandes sociétés concessionnaires.
    Au total, le film donne à voir la double spectacularisation, celle de l’autoroute, du parcours, du réseau, et celle du patrimoine local, régional, national. En s’adossant sur la fabrique du spectacle, ses enjeux et ses acteurs multiples, il dresse un tableau impressionniste, politique et sensible des enjeux et représentations identitaires.
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