Rares sont les traductions françaises des titres de films américains (ou autres) à être supérieures et plus adaptées que le titre original. Et bien après être sorti de la salle, on peut aisément assurer que c’est ici le cas tant « Misanthrope » résume parfaitement la psychologie du tueur, sa vision du monde et le propos de fond du long-métrage. Bien plus en tout cas que le banal « Catch a killer » (« Attraper un tueur »), qui s’avère être son titre original générique et paresseux. Ce petit constat marketing posé, il fait plaisir de voir un suspense policier de la sorte. Très à la mode dans les années 90 (« Se7en », « Le Silence des agneaux », « Bone Collector », ...) puis dans les années 2000 (« Zodiac », « Prisoners », ...), ce type de thriller est depuis devenu rare ou est tombé en désuétude, la faute à des copies desdits chef-d’œuvres et des séries B tentant de singer ces modèles du genre mais ne leur arrivant pas à la cheville. Fort heureusement, ce long-métrage à l’allure presque anachronique donc est un bel exemple du genre, puissant, intelligent et maîtrisé.
Et il y a fort à parier que ce qui fait sa force reste sans conteste le fait que les quatre points cardinaux de ce type de films sont respectés. D’abord, il y a d’excellents interprètes, investis et talentueux. Puis, un cinéaste doué qui soigne ses images et donne un cachet esthétique fort à l’ensemble. Il y a aussi une ambiance tendue, angoissante, désespérée du meilleur effet mais surtout prenante. Enfin, il y a un scénario bien écrit, intelligemment contextualisé et aux dialogues profonds et plein de sens, ce qui n’est pas toujours l’apanage de ce type de productions.
On est d’ailleurs étonné de voir à la barre le cinéaste argentin Damian Szifron. En effet, l’homme a été révélé il y a dix ans à Cannes avec son excellent film à sketches « Les Nouveaux Sauvages », qui égratignait les travers comportementaux de ses concitoyens. Un film mémorable aux thématiques pas si éloignées que cela, sous un autre genre et un autre prisme, de celles de ce « Misanthrope ». Après une disparition des radars du cinéma, on ne l’attendait pas là mais c’est réussi à défaut d’être totalement inoubliable. Il soigne sa mise en scène et ses plans et parvient tout autant à prendre le pouls d’une administration sclérosée, plus occupée à ses conflits internes qu’à retrouver le tueur, que d’une ville aux habitants conformes à nos sociétés riches actuelles : malades, psychotiques, angoissés, matérialistes et consuméristes. Et le clin d’œil à l’après crise sanitaire est lourd de sens...
C’est d’ailleurs tout cela qui fait l’intelligence de « Misanthrope » : on retrouve tous ces sujets abrasifs dans des dialogues qui égratignent l’Amérique contemporaine malade en proie à toutes les addictions possibles et aux multiples angoisses. Une société rongée psychologiquement qui va droit dans le mur et dont ce tueur se fait presque la représentation métaphorique. Un fond nihiliste assumé et surprenant qui dénote intelligemment. Les motivations de ce tueur de masse résonnent comme un cri d’alarme dans cette Amérique; et l’atmosphère grisâtre de l’hiver couplée à la froideur des images rendent le tout assez perturbant.
Et puis il y a ce duo d’acteurs qui surprend. Pas des stars, juste de bons acteurs qui se plongent à fond dans leur rôle. Ben Mendelhson est impeccable et nous montre qu’il sait jouer autre chose que des méchants tandis que Shailene Woodley de la saga « Divergente » tient le rôle principal avec un aplomb qu’on ne lui soupçonnait pas. Un beau duo de flics très loin des clichés du genre. Il y a aussi cette superbe mais effroyable scène de tuerie de masse en ouverture qui nous laisse le souffle coupé. Une leçon de mise en scène que confirme la seconde, plus originale et moins tétanisante, mais tout aussi magistrale. On pourra juste reprocher quelques facilités dans la découverte du tueur, des ficelles un peu grosses qu’on aurait pu éviter mais cela demeure un très bon polar avec serial-killer (ici de masse) qui fait plus que bien le job.
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