Une nuit du Nouvel An à Baltimore. Dans l'insouciance générale des feux d'artifice et des cris de joie, des détonations lugubres transpercent l'ambiance festive pour faucher des innocents aux quatre coins de la ville. Alors qu'elle est en patrouille, une jeune policière se retrouve prise dans le chaos engendré par les balles de ce tireur isolé. Sur les lieux du crime, l'agent du FBI en charge de l'enquête la remarque grâce à ses intuitions pertinentes et la prend sous son aile pour tenter de retrouver le tueur...
Féru de ce genre de production hélas de plus en plus rare sur grand écran, je m'en voulais d'avoir loupé ce bien nommé "Misanthrope" en VF mais mon attente se trouve aujourd'hui récompensée en découvrant cette chasse à l'homme désespérée, littéralement imprégnée du climat délétère dans lequel nos sociétés modernes broient les aspirations humaines pour assurer la survie d'un système en faillite.
Avec ses balles qui fusent au hasard d'existences anodines puis ce sentiment d'immersion palpable aux côtés de cette policière emportée dans l'engrenage de cette nuit funeste, l'ouverture du film se pose directement en bijou d'intensité, nous prenant à la gorge de la folie tragique de ses événements pour ne plus jamais nous lâcher et, par la même occasion, nous introduire à une héroïne irrémédiablement brisée, celle qui est en réalité la plus à même de comprendre les motivations d'un assassin habité par les mêmes ténèbres existentielles.
Une chose que, dans le tourbillon de l'agitation policière générale, l'agent du FBI en chef remarque très vite afin de nouer une relation mentor/élève d'une force et d'une vérité rares, où la sévérité et la bienveillance de cet homme malmené par ses supérieurs s'unit à la perspicacité et la douleur de sa protégée pour tutoyer les plus illustres duos du genre (comment ne pas penser au tandem Clarice Starling/Jack Crawford d'un certain film de Jonathan Demme ?).
Lancés à la poursuite d'un monstre frappant au hasard, les enquêteurs font sans cesse tenter de faire entendre leur cause face à un système qui a finalement lui-même engendré sa proie meurtrière, éludant les conséquences néfastes de ses actes jusqu'à l'inconscience la plus totale afin d'assurer la pérennité de ses apparences (la comparaison explicite à la situation du film "Les Dents de la Mer" via les demandes irrationnelles du maire n'en est que plus criante). Car, au-delà de la déchéance de hiérarchies policière, politique et médiatique dont le film aborde la perte tentaculaire de bon sens devant des causes à effets dont elles préfèrent manifestement se nourrir à défaut de les comprendre, c'est bien entendu la lutte de ce facteur humain, toujours plus étouffé et ignoré malgré ses hurlements de détresse, que Damían Szifrón choisit de lier le plus intimement aux tenants et aboutissants de sa chasse à l'homme crépusculaire.
Que ce soit au détour des contradictions de son agent de FBI obligé de participer à la main mise de l'ordre établi qu'il dénonce pour tenter d'assouvir son besoin de reconnaissance à travers des motivations louables ou, évidemment, le parallèle inéluctable entre l'héroïne et leur cible parasité par des interférences extérieures, comme pour mieux traduire cette volonté d'annihiler toute porte de sortie allant à l'encontre de celles décidées par des autorités inamovibles, "Misanthrope" dresse un tableau effroyablement pessimiste d'une Amérique au bord du point de non-retour, écrasant la survie des espoirs individuels sous le poids de rouages viciés.
Porté par par la prestation solide de Shailene Woodley (également co-productrice) et celle d'un exceptionnel Ben Mendelsohn (après la série "The Outsider", on ne voit vraiment pas qui peut rivaliser avec lui dans les rôles de flic déterminé et pétri de failles), "Misanthrope" n'évite certes pas quelques facilités pour précipiter sa résolution, l'empêchant peut-être de s'imposer comme un classique instantané en son genre mais nul doute qu'il s'imposera comme une référence du thriller noir de 2023 par sa qualité.