Y. est un réalisateur israélien en colère. Il est en plein casting de son premier film, Le Genou d'Ahed, qui aura comme figures principales Ahed Tamimi, une jeune Palestinienne condamnée à huit mois de prison pour avoir giflé un soldat de Tsahal, et Bezadel Smotrich, un député d'extrême-droite qui a affirmé qu'il aurait fallu lui tirer dessus "ne fût-ce que dans le genou".
Y. se rend à bord d'un petit avion au milieu du désert du Néguev pour présenter son précédent film. Il y est accueilli par Yahalom, une jeune employée du ministère israélien de la culture qui lui demande de renseigner un formulaire, indiquant l'objet de sa conférence. Y. se braque contre cette formalité qu'il assimile à une censure.
J'ai tout détesté dans "Le Genou d'Ahed", le dernier film de Nadav Lapid, revenu de Cannes auréolé du Prix du Jury, dont le précédent, "Synonymes", m'avait déjà inspiré quelques réserves.
J'ai détesté sa forme, sa caméra épileptique qui m'a donné la nausée. Nadav Lapid pousse au paroxysme ce qui, de plus en plus, semble devenir une norme : la caméra portée et tremblotante qui a ringardisé le plan fixe, trop académique. Pour filmer la vie, pour filmer la rage, il faut une caméra vivante, rageuse. Le cadreur souffre donc de la danse de Saint-Guy et agite la caméra dans tous les sens. Le réalisateur tente en vain de s'en expliquer : "La chose la plus compliquée à filmer au cinéma, ce sont sans doute les dialogues. Ces mouvements de caméra servent à casser les formalités de présentation... Ils nous préviennent qu'on va arracher le film à ce classicisme."
Mais j'ai aussi détesté son sujet. Dans "Le Genou d'Ahed", Nadav Lapid, qui s'est depuis exilé à Paris, vomit sa haine contre son pays natal. L'origine de son courroux semble bien futile : ce formulaire que la jolie Yahalom lui demande de signer. Il y a mille et une raisons de critiquer son pays, qu'il s'agisse de la France, d'Israël ou du Timor-oriental. Je ne suis pas sûr que l'obligation de renseigner un formulaire indiquant le sujet de la conférence qu'on s'apprête à donner soit le plus convaincant.
Le patriotisme pas plus que l'anti-patriotisme ne me semblent pas des vertus estimables. Le premier est aujourd'hui définitivement démodé sinon raillé. Le second connaît au contraire une mode à mon sens délétère : renier son pays est "tendance". La meilleure réponse est celle du ministère de la culture israélien qui, avec un masochisme admirable, a financé le film de Nadav Lapid, démontrant ainsi magistralement l'inanité de sa vaine colère et l'artificialité de sa posture soi-disant transgressive.