Pour beaucoup, la filmographie de Michael Winner reste entachée par sa collaboration de presque vingt ans avec Charles Bronson qui forte de sept films, accouchera de quatre épisodes de la saga « Un justicier dans la ville » que les deux hommes avaient initiée en 1973. Emboîtant le pas à celle des « Dirty Harry » entamée par le duo Don Siegel/Clint Eastwood deux ans auparavant, elle s’était vue, dans une Amérique malade d’une violence consubstantielle à la vente libre des armes, reprocher de laisser libre court à une apologie complaisante voire fascisante de l’auto-défense. Michael Winner n’arrivera jamais à se départir d’une réputation qu’il avait sans doute un peu provoquée, se laissant de plus en plus aller à une surenchère opportuniste tout au long des quatre épisodes précités. Il a pourtant à son actif des films très intéressants et surtout beaucoup plus subtils comme « Le corrupteur » (1971), « Les collines de la terreur » (1972) ou encore « Le flingueur » (1972). Avant d’arriver à Hollywood en 1971, il avait réalisé quelques films en Angleterre son pays natal, dont « West 11 », s’inscrivant clairement dans la mouvance du « Free cinema » initiée par Karel Reisz, Tony Richardson, John Schlesinger et Lindsay Anderson, tous plus âgés que lui. Son film intimiste arrive alors que le mouvement éphémère inspiré de la Nouvelle Vague française a déjà donné ses meilleures œuvres. Né d’une nouvelle de Laura Del-Rivo (« The furnished room), le film devait être réalisé par Joseph Losey avec Claudia Cardinale dans le rôle principal féminin. Mais son dernier film ne plaisant pas au producteur Daniel M. Angel, la recherche d’un remplaçant a rapidement commencé. Michael Winner arriva sur le projet car il avait fait montre d’une certaine efficacité sur plusieurs films à petits budgets qui s’étaient avérés rentables. Il espérait pouvoir disposer à son casting de Sean Connery, Oliver Reed, Julie Christie ou James Mason. Pour diverses raisons, Angel ne donna pas satisfaction à son jeune réalisateur qui du faire avec Alfred Lynch, Kathleen Breck et Eric Portman. Le résultat n’en fut pas moins convaincant, démontrant la faculté de Winner à aborder tous les genres. Dans le quartier de Notting Hill (à l’ouest de Londres) avant que celui-ci ne s’embourgeoise, Joe Beckett (Alfred Lynch), jeune homme de la classe moyenne a du mal à s’insérer, multipliant les petits boulots, les aventures féminines, les soirées dans les clubs de jazz enfumés. La caméra suit le parcours erratique du jeune homme dont il ressort assez vite qu’il souffre d’une difficulté à laisser s’exprimer ses émotions. Cette difficulté existentielle qui le voit s’affubler lui-même du qualificatif de « lépreux émotif » induit une violence contenue que l’on voit lentement évoluer jusqu’à ce qu’un vétéran de l’armée (Eric Portman) crapuleux décide d’en user à son profit. Michael Winner sentant que l’intrigue ne lui offre pas beaucoup de rebondissements, choisit d’axer sa mise en scène sur la retranscription de l’atmosphère d’un quartier et d’une époque qu’il enrichit des portraits de personnages de toutes générations, échoués sur le rivage de leur vie, à la recherche de leurs illusions perdues. Jamais inutilement intrusive et laissant la part belle aux acteurs, sa caméra saisit au vol les regards de ces paumés en quête d’une vérité d’eux-mêmes qui leur échappe. Dans ce contexte, Diana Dors, Finlay Currie ou Kathleen Breck sont touchants de sincérité. Quant à Alfred Lynch qui pourrait être le grand frère d’Albert Finney et dont la carrière n’a pas été aussi brillante, il livre ici une prestation toute en retenue, donnant toute son épaisseur à ce jeune homme désespéré d’en manquer. Michael Winner, peut-être pudique mais sans doute aussi très pragmatique préférera traverser l’Atlantique pour mettre son talent au service d’un cinéma plus directement accessible.