Inspirée par l’histoire vraie de Lillian Alling, une immigrante polonaise implantée aux États-Unis qui, en 1926, ayant décidé de retourner dans sa patrie, n’a pas trouvé d’autre solution que de traverser à pied l’Amérique depuis New York jusqu’en Alaska où elle espérait pouvoir traverser le détroit de Béring mais où, en vérité, elle disparut sans laisser de trace, ce film raconte une odyssée qui paraît totalement folle. Le réalisateur a choisi d’en situer l’action dans l’Amérique contemporaine, donnant ainsi au film un caractère quasi documentaire. C’est d’ailleurs dans ce genre-là que Andreas Horvath s’est illustré jusqu’à présent.
Le cinéaste fait de Lillian une jeune femme russe qui, émigrée aux États-Unis depuis un an, se retrouve esseulée et sans un sou. Désespérée, elle essaie de survivre en intégrant l’industrie du film pornographique mais, même là, on ne veut pas d’elle parce que le visa de son passeport a expiré depuis six mois. Elle décide donc de rentrer chez elle à pied.
Le film entre alors dans le vif du sujet : le périple incroyable, insensé, sidérant, d’une jeune femme totalement démunie à travers les États-Unis jusqu’en Alaska. C’est, pour Andreas Horvath, le moyen de faire entrevoir quelques réalités de l’Amérique rurale, des petites villes ou bourgades où telle personne évoque une tempête récente et des inondations, où d’autres se défoulent avec des engins tout-terrain, etc. Le parcours de la jeune femme lui fait également croiser un rassemblement d’Indiens en colère parce qu’on veut faire passer un pipe-line sur leur territoire. Pour l’orateur qui harangue les insurgés, les Blancs n’ont pas fini de mépriser les Indiens, ce n’est pas de l’histoire ancienne, c’est une triste réalité qui reste d’actualité.
Pour une jeune femme comme Lillian, le périple à travers les États-Unis se transforme rapidement en calvaire. Comment garder un semblant de dignité quand on passe ses journées à marcher sur les routes ? Andreas Horvath n’élude pas même les difficultés spécifiques que supporte une femme, celles qui concernent son hygiène intime par exemple. Quant à se nourrir et à s’habiller, quand on n’a pas le sou, il faut bien se contenter de ce qu’on récupère ici et là, y compris ce qui a été jeté à la poubelle. Ou alors, il faut effectuer quelques menus larcins.
On ne sait rien de Lillian, de sa vie, de ce pourquoi elle est venue en Amérique. Hormis au tout au début du film, elle ne parle jamais. Probablement ne connait-elle pas d’autre langue que le russe. Elle reste mystérieuse, entêtée, solitaire. Elle évite le plus possible les contacts humains, elle semble en avoir peur. Le paradoxe, c’est que, alors qu’elle s’isole le plus possible, elle reste totalement dépendante des habitants des contrées traversées, ne serait-ce que pour manger et trouver de quoi se vêtir. Cependant, chaque fois que s’établit un contact avec quelqu’un, Lillian ne fait rien pour en profiter d’une manière ou d’autre. La seule partie du chemin qu’elle effectue en voiture se passe en compagnie d’un shérif qui, après s’être assuré qu’il ne s’agit pas d’une personne recherchée, la conduit jusqu’à la limite du comté voisin. Elle ne lui adresse pas un mot, pas plus qu’à une femme qui, dans une petite ville, est saisie de compassion et va lui chercher des boissons. Quand elle revient, Lillian a disparu.
Fatalement, la route de cette jeune femme croise celles d’individus dangereux. Lors d’une scène terrifiante, elle échappe à grand peine à un prédateur sexuel qui la poursuit à travers un champ de maïs. Plus tard, arrivée dans les Montagnes Rocheuses, elle voit de nombreux panneaux rappelant combien il est dangereux, pour une jeune femme, de s’aventurer seule dans ces contrées. Parmi celles qui s’y sont risquées, avertissent les panneaux, plusieurs sont portées disparues. Le pire, pour Lillian, c’est précisément de traverser de vastes territoires inhabités. Le trajet qu’elle doit effectuer dans un désert se révèle une terrible épreuve. Mais le pire advient en Alaska, alors que survient l’hiver. Il ne s’agit plus alors de vivre, mais de survivre.
Le film impressionne, fascine, bouleverse. Le savoir-faire de Andreas Horvath s’impose de manière remarquable. Il faut ajouter que le cinéaste a trouvé en Patrycja Planik une extraordinaire actrice. Elle incarne son personnage avec un étonnant réalisme. Elle se donne à fond, elle est inoubliable.