Sortilège est un film né de plusieurs sources. Ala Eddine Slim explique : "C’est un patchwork de moments, de lieux, de choses personnelles liés à une image, une odeur, une situation, une rencontre, un état d’âme. Pour donner un exemple, la deuxième partie du film je l’ai écrite en moins de 24 heures. D’autres fois je prends beaucoup de temps. Le film est venu comme ça, de manière éparpillée. Je savais que le soldat allait avoir des seins, je savais que la femme allait tomber enceinte et allait rencontrer ce personnage mystérieux dans la forêt. Mais le serpent et la toute dernière séquence où le mari vient chercher sa femme dans la forêt, tout cela a été écrit au moment des repérages. L’écriture évolue tout le temps, elle n’est jamais figée et se réinvente aussi au tournage."
L'une des inspirations du film est un tableau que Ala Eddine Slim avait repéré dans la série The Young Pope de Paolo Sorrentino. Le metteur en scène se rappelle : "A plusieurs reprises le personnage passe devant un tableau qui, ce que je croyais à l’époque, représente un homme avec des seins qui allaite un bébé. Cette scène m’a fasciné. En fait c’est une femme avec une barbe mais quand je l’ai appris mon imagination était déjà partie très loin. A la même époque, mon ex-femme était enceinte de notre deuxième fille. Je ne comprenais pas pourquoi c’est toujours la femme à qui on donne tout le bénéfice de la grossesse. Durant ces 9 mois, le père souffre autrement. Faire allaiter le bébé par le soldat était une façon de prendre ma revanche !"
Sortilège comporte un plan en drone impressionnant, qui part du minaret, passe devant les banques, pour arriver sur le brasier. "Ce plan je l’ai minutieusement préparé. Le chemin que fait le plan, c’est celui que j’emprunte pour retourner chez moi quand je suis ivre, de la banlieue nord à la banlieue sud. Pour moi il représente le corps du serpent. Le minaret c’est la tête, l’avenue c’est le corps et le feu c’est sa queue. Et puis ce qu’on voit dans ce plan me rappelle un peu un Gotham City mais à la sauce arabe !", précise Ala Eddine Slim.
Sortilège a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2019.
Sortilège est ponctué de plusieurs références au cinéma de Stanley Kubrick : le monolithe de 2001, le suicide du soldat qui rappelle Full Metal Jacket et les macros sur les yeux qui viennent de Orange Mécanique. Ala Eddine Slim explique : "Pour moi Kubrick est un maître absolu. Pourquoi je me serais empêché de mettre le monolithe dans mon film ? D’autant plus qu’il y trouve sa propre logique. C’est une sorte de porte, parmi celles qu’il y a dans le film. On l’a laissé dans la forêt d’ailleurs. J’imagine des randonneurs qui découvrent l’objet !"
Abdullah Miniawy, qui joue le personnage principal de Sortilège, est musicien. Sur The Last of Us, le précédent film de Ala Eddine Slim, le cinéaste avait aussi fait appel à un comédien non professionnel dans le rôle central (Jawher Soudani). "En général je ne fais pas de casting pour les rôles principaux. Je fonctionne au feeling. Abdullah je l’avais invité à jouer au concert d’ouverture d’un festival documentaire que je dirigeais. On s’est rencontré et on est immédiatement tombés amoureux l’un de l’autre !", précise le réalisateur.
Sortilège regorge de signes religieux et de thématiques qui proviennent de textes sacrés. Ala Eddine Slim vient d’un milieu conservateur mais ouvert, comme la plupart des Tunisiens. Ce qui intéressait le metteur en scène dans la religion réside dans sa capacité à réunir tant d’humains autour d'un idéal imaginé, et cela en limitant leurs libertés les plus élémentaires. Il confie :
"Par exemple le fait qu’il faut faire le Ramadan pour tout bon musulman. Ces diktats qui font souffrir les adeptes n’empêchent pas ces mêmes adeptes de se donner corps et âme pour une idée, quel que soit leur niveau d’instruction. Du coup, pour moi, la religion est l’envers du cinéma. Elle rassemble pour entasser et homogénéiser les gens alors que le cinéma rassemble pour multiplier les libertés. En concevant Sortilège, je n’avais pas une idée très précise du rapport à la religion, même si l’histoire des deux personnages, avec la pomme et le serpent rappelle bien entendu Adam et Eve. Tout pour moi n’est qu’alibi pour essayer de faire primer le cinéma en tant que langue, langage et même religion."