Si vous aimez le réalisme social façon Ken Loach ou les frères Dardenne, passez votre chemin. En revanche, si vous aimez les univers stylisés, les recherches esthétiques, un cinéma qui lorgne davantage du côté d’Aki Kaurismäki, Roy Andersson ou Jim Jarmusch, ce film est fait pour vous.
Si Lubitsch nous faisait comprendre en un seul plan la solitude de son héroïne dans un premier plan célèbre de l’Eventail de Lady Windermere, Ena Sendijarević nous fait comprendre en un seul plan l’enfermement mental de son héroïne, sa méconnaissance du monde extérieur.
Le monde extérieur, Alma va le découvrir en prenant l’avion pour la Bosnie, à la recherche d’un père malade qu’elle n’a jamais connu. Elle y retrouve son cousin Emir, qu’elle n’avait pas revu depuis l’enfance, et rencontre le meilleur ami de celui-ci, Denis. Pour la première fois, elle va se confronter à une jeunesse différente de ce qu’elle connait déjà, une jeunesse partagée entre l’amour de son pays et la volonté d’émigrer face à une situation devenue très difficile…
La réalisatrice Ena Sendijarević nous brosse le portrait d’une jeunesse contemporaine pétrie dans ses contradictions, mais foncièrement attachante. A cet égard, son héroïne Alma semble à la fois apathique mais déterminée à faire aboutir ses projets, bougonne mais ouverte aux autres, libérée sur le plan sexuel mais indécise sur le plan sentimental ; parfois cynique, elle semble déjà revenue de tout malgré son jeune âge ; parfois naïve, elle semble découvrir le monde pour la première fois.
Ce portait, Ena Sendijarević le brosse d’une façon qui n’appartient qu’à elle, balançant entre une esthétique pop, très colorée, et un humour, un ton décalés.
Si vous aimez les univers très stylisés façon Aki Kaurismäki ou Roy Andersson, avec un poil de spleen façon Jim Jarmusch, vous serez en terrain connu. Cependant loin d’être un simple décalque, la réalisatrice imprime sa marque, trouve son ton propre, à travers un décalage, un humour, qui n’appartiennent qu’à elle. Notamment à travers les rencontres que fait Alma - sorte d’Alice perdue aux Pays des Merveilles - toujours très hautes en couleurs.
Bref, ce premier film est une réussite totale. Très travaillé sur le plan esthétique et visuel (pour les spectateurs qui sont sensibles à cet aspect de cinéma, et sont si peu souvent contentés), il ne sacrifie pas pour autant ses héros et son histoire, et reste absolument passionnant dans ce qu’il raconte, dans les thématiques qu’il aborde (la recherche d’identité, le déracinement, la sensation d’être entre-deux, la confrontation entre deux jeunesse nord / sud).
Une réalisatrice à suivre !