Comme Marc Dugain pour « Eugénie Grandet » (2021), Xavier Giannoli a su retranscrire l’esprit du roman éponyme d'Honoré de Balzac (tout en se focalisant sur la 2e partie, "Un grand homme de province à Paris") et le contexte historique de la Restauration. C’est l’archétype de l’ascension d’un personnage provincial (ici d’Angoulême), Lucien de Rubempré, d’abord naïf, honnête, plein de scrupules et aux sentiments nobles (tant amoureux que professionnels), un peu orgueilleux
en prenant le nom de sa mère avec particule alors que son patronyme est Chardon
[mais il est différent d’un autre personnage, plus canaille, au destin semblable, Barry Lyndon aux « Mémoires » (1844) écrites par William Makepeace Thackeray (1811-1863) et immortalisé par le film (1975) de Stanley Kubrick], qui change au fil du temps et des circonstances, devient cynique, corrompu et crée, malgré lui, les conditions de sa propre chute. Le réalisateur et son scénariste, Jacques FIESCHI (3 collaborations) ont su y introduire une touche de modernité qui renforce la critique de Balzac vis-à-vis des journalistes (dont le rôle est « d’enrichir les actionnaires de leur journal, n’hésitant pas à ratisser large… L’important étant de créer la polémique pour faire vendre ») ainsi que de la société française corsetée dans ses classes (ou castes) étanches où l’on se doit d’y rester [lutte des classes sous-jacente avant qu’elle ne soit théorisée par Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) en 1848]. Certes, cette profession était moins encadrée que de nos jours (la loi sur la liberté de la presse date du 29 juillet 1881) mais ses effets pervers sont encore bien présents, d’une part, depuis l’existence d’une presse d’opinion qui flatte l’opinion et le fait et d’autre part, par l’importance prise par les réseaux sociaux. Le film bénéficie d’une belle reconstitution historique des lieux parisiens (Opéra-comique, Boulevard du crime), mise en valeur par la photographie de Christophe BEAUCARNE (fils du chanteur Julos) ainsi que d’une bande musicale classique (Vivaldi, Mozart et consorts), faisant oublier totalement sa longueur (2h29). Parmi tous les acteurs, une mention spéciale, bien sûr, au personnage principal, joué par Benjamin VOISIN, à Cécile de FRANCE, tout en retenue dans son rôle de baronne de Bargeton, premier amour de Lucien, Jeanne BALIBARD qui campe une marquise d’Espard, vipère machiavélique et Xavier DOLAN qui joue Raoul Nathan, personnage finalement plus sympathique que Lucien, fidèle à ses idées, écrivain talentueux, probable double de Balzac (
vu qu’il raconte l’histoire
).