C'est avec franchise que j'admets considérer mon opinion plus légitime que la plupart des critiques que j'ai lues jusqu'à présent, que j'ai trouvées mal construites, infondées et vides.
Pour autant je reconnais tout aussi volontiers ma subjectivité ; j'ai terminé la lecture des Illusions Perdues de Balzac il y a trois jours très précisément. Une lecture qui m'a accompagnée tout au long du mois de décembre et dont la fin m'a plongé dans un profond état de mélancolie : un chef d'oeuvre pareil ne laisse personne insensible !
Vous l'aurez compris, je suis tombé amoureux de cette oeuvre, j'ai lu et relu des pages entières afin de savourer encore et encore le génie de Balzac.
De l'amour certes, mais un amour platonique car je pense sincèrement être suffisamment lucide pour juger tout ce qui s'y rapporte.
Ce film donc, a tout d'un film réussi et je comprends réellement pourquoi il a été salué par la critique : la reconstitution historique est excellente (bien qu'en tant que pianiste je regrette l'anachronisme de presque toutes les oeuvres utilisées), il y a du rythme, la mise en scène et la photographie sont grandioses. Hélas ! je ne peux pas accepter que l'on dise que les acteurs y sont magistraux. Ceux qui vont dans ce sens n'ont pas lu Balzac. Je n'arrive pas à comprendre comment on peut se sentir immergé dans un film historique du XIXe siècle quand les acteurs s'expriment comme au XXIe : ils font semblant de se croire deux cent ans ans plus tôt et ça crève l'écran, les dialogues sont forcés, leur diction est fausse, on n'y croit pas une seule seconde. Lire la prose et les dialogues de Balzac chaque jour pendant un mois et du jour au lendemain devoir écouter des acteurs tenter de parler le français du XIXe sans jamais réussir à cacher leur français du XXIe...
Quant à ceux dont la diction est bonne, c'est simplement dû au fait qu'ils parlent comment ils parleraient en 2021 (Depardieu que pourtant j'adore habituellement et Lacoste qui est tout simplement honteux). Le seul qui pour moi tient la route dans ce film est Dolan (que je n'aime pourtant pas vraiment). Jeanne Balibar et certains acteurs secondaires ne sont pas mauvais non plus.
Salomé Dewaels est insignifiante et Benjamin Voisin est lisse et terne comme Hayden Christensen dans Star Wars (il lui ressemble d'ailleurs énormément) : son personnage n'évolue jamais, ses expressions sont les mêmes du début à la fin.
Au-delà des dialogues, l'histoire elle-même m'a déçu. Là encore je comprends pourquoi le public a été séduit, la trame globale a été respectée, et des contraintes de temps (le film est déjà long) ont sans doute empêché le réalisateur d'être plus fidèle à l'oeuvre, mais trop de détails impardonnables ont été oubliés et d'autres ont complètement et inutilement été inventés.
Tout d'abord, le mari de Madame de Bargeton n'a jamais découvert la relation de sa femme avec Lucien, il s'est même livré dans le livre à un duel pour sauver son honneur. Au passage la scène dans l'imprimerie est ridicule et mal jouée de la part de tous les acteurs. Aussi Lucien n'a jamais été serveur chez Flicoteaux (le fameux restaurant du quartier latin). De plus, l'histoire ne se termine absolument pas avec Lucien dans un lac (wtf?). Continuons, Nathan n'est pas aussi important pour Lucien dans le roman, contrairement à Lousteau qui lui, reste son ami même après le retour de Lucien à Angoulême (la fameuse dette de 1000 francs effacée par l'envoi de vêtements). Châtelet ne fait jamais passer Lucien pour son neveu afin de l'introduire auprès de la comtesse d'Espard. Pourquoi tous ces mensonges complètement inutiles mais surtout aberrants ?
Pire encore, OÙ EST LE CÉNACLE BON SANG ?
Comment a-t-on pu faire fi du cénacle qui est un véritable socle moral pour Lucien ? Il est fondamental dans la construction et le développement du personnage. Et puis pourquoi avoir passé sous silence toute la misère qu'il a connue ? Lucien de Rubempré passe tellement de temps dans la misère à Paris et si peu dans l'opulence en comparaison...Avançons, où est l'Archer de Charles IX qui est le roman abouti de Lucien ?
Il y a plus grave encore, je suis scandalisé par l'absence TOTALE de sa soeur Ève, de sa mère et de David Séchard, qui sont pour moi les personnages les plus importants avec Lucien, Lousteau, Coralie et Madame de Bargeton.
La première partie du roman est bâclée en quinze minutes de film à peine tandis que la troisième (et dernière) n'est MÊME PAS INTÉGRÉE DANS LE FILM. On se retrouve donc avec un film qui s'intitule "Illusions Perdues" de Balzac mais qui oublie deux des trois chapitres du roman. Comment cela est-il possible ?
Et les gens lui accordent quatre voire cinq étoiles, est-ce une blague ?
Je le répète, je comprends qu'on puisse apprécier le film, il est très bon public, très esthétique, il y a du rythme, mais ayons un peu d'exigence et d'honnêteté intellectuelle, comment peut-on le qualifier de grand film voire de chef d'oeuvre ? On parle de Balzac là, il faut ouvrir et lire le roman au bout d'un moment...
Petits détails :
Était-ce vraiment nécessaire de montrer le sexe de Lucien, sérieusement ? C'est ridicule.
Aussi, Lucien dans le roman est un homme extrêmement expressif et émotif, il est un vrai vivant, on dirait même qu'il souffre d'hyperémotivité. Il est particulièrement attachant. Dans le film ses phrases sont courtes, sont regard est fixe et il use bien trop du silence : trop mystérieux. Mozart dans Amadeus de Milos Forman possède une personnalité bien plus proche de celle de Rubempré de Balzac que de Rubempré de Giannoli.
Autre point fondamental, Lucien de Rubempré de Balzac réussit à ce point car certes il a du talent, mais est surtout doté d'une beauté (héritée de sa mère) quasi unique : tout le monde le regarde et le dévore des yeux, même les hommes admettent tous son infinie beauté ; si subjectivement je trouve l'acteur quelconque (Dolan est mille fois plus charmant, élégant et beau), j'estime qu'il était au moins nécessaire de mentionner l'importance de cette beauté singulière mentionnée des dizaines de fois dans le livre, de Châtelet à d'Espard en passant par Dauriat, David Séchard, les frères Cointet et le curé espagnol.
Au fait, je sais que c'est un détail, mais Lucien est blond, pas châtain foncé : il eut été si facile de corriger cette incohérence...
Bref, 2,5 étoiles pour toutes les qualités que j'ai énoncées mais je ne pardonne pas les incohérences et surtout l'inexistence des deux-tiers du roman, dont Ève et David qui sont fondamentaux.
Je suis certain que quiconque aime ce roman autant que moi sera d'accord avec la majorité de ce que j'ai dit.