Il faut le voir car le film de Xavier Gionnoli est un excellent moment à passer au cinéma. Il ne dispense pas d’ailleurs de lire le livre ( 812 p dans l’édition folio ) , truffé de remarques, de pièces comptables et de billets écrits qui ne peuvent être portés à l’écran. Le film est tourbillonnant et recèle une énergie qui traduit bien, grâce à un casting éblouissant, l’esprit d’une époque où tout pouvait s’acheter, sauf d’accéder au Boulevard Saint Germain où résidait la haute aristocratie revenue de l’étranger et renfermée sur ses privilèges récemment restaurés. Le Boulevard Saint Germain est le personnage principal de la Comédie humaine et tout tourne autour de cette forteresse conservatrice où Balzac lui même aurait tant voulu être reçu et reconnu. Il est là aussi, dans les « Illusions perdus », le coeur de l’intrigue.
Lucien Chardon (Benjamin Voisin), jeune poète à Angoulême, qui se fait appeler Lucien de Rubempré, par le nom de sa mère, rêve de reconnaissance et de gloire littéraire. Ses amours avec sa protectrice Naïs de Charteron (Cécile de France), bienveillante et candide, oblige cette dernière à fuir à Paris où elle est accueillie par la redoutée marquise d’Espard (Jeanne Balibar). Lucien qui l’a suivie est rapidement écarté du Boulevard Saint Germain où elle s’enferme. Réduit à vivre d’expédients, il rencontre Etienne Lousteau (Vincent Lacoste) journaliste qui l’entraine sur ses brisées. Lucien devient en peu de temps un redoutable polémiste, craint de tous. Il affiche son succès et s’installe dans une vie dissolue avec Coralie ( Salomé Dewaéls), une jeune actrice, fraîche et sincère, connue pour ses bas rouges, qui rêve aussi de grands rôles au théâtre et adule Racine à qui toute la France se réfère encore. Lucien finit par se faire piéger en croyant pourvoir se voir reconnaître sa particule par les royalistes à condition de changer de camp et de cesser ses attaques.
Couvert de dettes, il est abattu le jour de la première de Bérénice où Coralie, phtisique, s’effondre sous les huées d’une claque organisée par Singali et ses anciens amis journalistes trahis. La Marquise d’Espard qui a tout manigancé exulte. Lucien de Rubempré, ruiné et abandonné de tous, rentre à Angoulême, tout à fait désillusionné.
C’est une gageure de porter un roman si complexe à l’écran. La technique de la voix off, abondamment utilisée, évite les longues et ennuyeuses explications filmiques. Le réalisateur a aussi innové en créant le personnage de Singali (Jean-François Stévenin) margoulin qui organise à la demande les triomphes à la scène ou qui provoque les fours dont on ne se remet pas. C’est très bien vu, je dois dire.
On se s’ennuie pas du tout, pris dans la dynamique du film qui ne dure pourtant que deux heures … Les scènes de rue, notamment au Palais Royal, comme les intérieurs multiples sont spectaculaires. La vie des salons et ses murmures assassins sont très bien rendus et on aimerait presque connaître la suite. Dans l’œuvre de Balzac, elle existe avec « Splendeurs et misères des courtisanes » (un pavé difficile aussi) dont Lucien de Rubempré est aussi le héros central qui remonte à Paris, sa particule reconnue, pour finir misérablement par s’y perdre et s’y pendre dans une cellule de la Conciergerie, de mémoire . Pauvre Lucien…