Ceux qui connaissent Abel Ferrara savent à quel point sa filmographie est protéiforme et ses obsessions multiples. Après une grande heure de gloire dans les années 90, avec des films violents et sulfureux (« Bad Lieutenant », « The King of New York »), il s’est fait plus discret dans les années 2000, où son style a connu de multiples transformations, avant de revenir sur le devant de la scène dans les années 2010, avec des œuvres beaucoup plus matures et teintée d’autobiographie, marquées par sa collaboration avec l’acteur Willem Dafoe. Mais alors, qu’est-ce qui relie toutes ces périodes entre elles ? C’est ce que raconte « Tommaso » : l’histoire d’un réalisateur américain, Tommaso (alter-ego de Ferrara), installé à Rome avec sa femme et sa fille, qui cherche à se débarrasser de ses vieux démons. Durant le film, la caméra suit Tommaso dans toutes les situations : réunions aux Alcooliques Anonymes, promenades dans le parc avec sa fille, rencontres avec les personnes de son quartier… Ce que cherche Ferrara, c’est justement observer comment Tommaso se reconstruit, comment tous ces petits moments quotidiens sont pour lui un aboutissement, marqueur de l’espoir d’une vie meilleure. Au contact des autres, Tommaso comprend mieux ses erreurs du passé et en s’offrant pleinement aux siens, il se donne la possibilité de se racheter. Mais ce que montre aussi ces situations, c’est à quel point le château de cartes est instable, à quel point chaque erreur peut le conduire vers ses démons. On le comprend dès le départ, Tommaso nous apparaît les traits tirés, il semble heureux mais son visage révèle une anxiété, car il sait pertinemment que l’équilibre qu’il construit est fragile. Ces anciens démons, ils se manifestent par des visions (adultère, jalousie) mais aussi par des colères aussi soudaines que spontanées. Ce que Ferrara montre avec « Tommaso », c’est à quel point il est difficile de se détacher de ses défauts, car ces derniers reviennent toujours au galop… Néanmoins, Tommaso essaie et se surpasse pour devenir l’homme meilleur auquel il aspire, et son chemin de croix n’est pas sans nous rappeler celui des grands personnages de Scorsese ou même celui du Bad Lieutenant, tous des personnages en recherche de cette élévation spirituelle. Willem Dafoe, qui trouve ici selon moi l’un de ses plus grands rôles, nous offre une composition virtuose et arrive à nous faire ressentir la dualité de Tommaso, parfois sans même parler, juste avec un regard … La mise en scène de Ferrara, quant à elle, étonne, tant celle-ci nous paraît réinventée. Tout est calme et fluide dans ses longs travellings qui nous permettent de suivre au plus près les doutes de Tommaso et de nous immerger dans son for intérieur. Rarement un cinéaste n’aura aussi bien filmé Rome selon moi, comme le théâtre calme et réconfortant des escapades nocturnes de Tommaso, comme un havre de paix lui permettant de cultiver la sérénité qu’il recherche. Pour moi cela ne fait donc aucun doute, « Tommaso » est bien le meilleur film de Ferrara, celui où l’enfant terrible tombe le masque et révèle une âme tourmentée, en recherche d’une paix intérieure qui lui échappe encore, mais dont il semble se rapprocher pas à pas…