En 2002, à Tanger, Maryam Touzani a rencontré celle qui a inspiré Samia. Les parents de la réalisatrice avaient recueilli une jeune femme enceinte de huit mois qui avait dû fuir son village car elle n’était pas mariée, ce qui constitue un crime aux yeux de la loi marocaine. Elle se souvient : "Nous étions déjà une famille de cinq enfants, tous élevés dans le respect des autres. Mes parents ont accueilli cette jeune femme et lui ont fourni un toit, sans poser de questions et surtout sans l’accabler sur son état malgré ce que ça représentait aux yeux de la société. Pour l’accouchement ce fut un peu plus difficile. Mon père qui était avocat s’est débrouillé pour que tout se passe au mieux, aussi bien à l’hôpital que pour la suite. Mes parents ont essayé de l’aider à trouver différentes options pour qu’elle puisse garder son enfant. Mais cette jeune femme voulait donner son enfant pour rentrer chez ses parents et tourner la page. Nous avons respecté son choix et avons essayé de faire en sorte que ça se passe au mieux. "
Après avoir brillé l'an dernier dans Razzia, l'actrice Maryam Touzani réalise son premier long-métrage. Adam, qui s'intéresse à la condition des femmes célibataires au Maroc, a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2019.
Pour le rôle de Samia, Maryam Touzani a commencé à chercher parmi des mères célibataires via des associations. Mais elle s'est vite rendue compte que cela risquait d’être trop lourd à porter pour elles… La réalisatrice s'est alors tournée vers des comédiennes professionnelles et a choisi Nisrin Erradi. Elle se rappelle : "Elle était crue, en diapason avec ses émotions. Il y avait quelque chose de brut, de puissant, et d’extrêmement sensible qui se dégageait d’elle". Elle poursuit au sujet de l'interprète du personnage d'Abla : "Lubna Azabal, je l’admirais de loin, notamment pour son rôle dans Incendies. Et c’est en fait elle qui a appelé en demandant à lire le scénario, car au début je cherchais une actrice au Maroc et je n’avais pas pensé à elle. Et puis on s’est vues, et on a parlé du personnage, de sa fragilité, ses fêlures, ses résistances… On a fait des improvisations, où je lui donnais la réplique, et je me suis rendue compte qu’elle portait en elle cette vérité que je cherchais pour incarner Abla…"
Avant le tournage, Lubna Azabal et Nisrin Erradi ont passé du temps dans la médina pour apprendre à connaître la réalité de ces femmes. Les deux actrices ont aussi appris, avec une coach, à faire des pâtisseries traditionnelles. Maryam Touzani confie : "Pour moi, c’était essentiel. Je voulais que ce contact à la matière, à la pâte, aux personnages, soit authentique."
Pour le rôle de Warda, la petite fille, Maryam Touzani a rencontré plein d’enfants, mais elle n'a pas eu de coup de coeur. A quelques semaines du tournage, la cinéaste commençait à s'inquiéter lorsqu'un jour, en faisant des repérages dans la médina, elle est tombée sur trois petites filles courant dans la ruelle. Elle se rappelle : "L’une d’elle était Douae Belkhaouda. Quand elle a tourné son visage vers moi, il s’est passé quelque chose. J’ai cherché à la revoir. Elle était très timide au début, et tout le monde me disait que j’étais folle, qu’elle ne pourrait jamais endurer le tournage d’un long métrage. Mais elle s’est avérée être d’une maturité et d’une sensibilité épatantes. A la fin du tournage, elle m’a dit qu’elle avait toujours rêvé d’être comédienne, mais que ses parents lui disaient d’arrêter de rêver..."
Maryam Touzani a glissé une recette dans son film : la rziza, une pâtisserie traditionnelle très ancienne faite à la main. La cinéaste, qui a grandi en mangeant cette spécialité marocaine, précise : "Aujourd’hui, on n’en trouve quasiment plus, sauf pendant le ramadan, et fabriquée à la machine... Pour moi, la faire revenir dans ce film est une manière de lui rendre hommage, et de rendre hommage à toutes ces choses qui constituent notre identité et que nous perdons petit à petit. La rziza est pour moi aussi une manière de m’arrêter sur des choses que j’estime importantes, de ne pas avoir peur de prendre le temps. Adam est un film d’ambiances, de sensations, où l’on rentre par l’image et le son dans le corps de ces deux femmes, comme les mains qui malaxent cette pâte."
L'action du film se situe dans la médina de Casablanca. Un quartier que Maryam Touzani aime profondément et qui distille une forme de vérité humaine bien loin des cartes postales. Elle explique : "C’est une sorte de ville dans la ville, presqu’un village, coupé des bruits assourdissants de la ville nouvelle, bien que ses ruelles regorgent de vie. Je voulais dans ce film me couper du monde extérieur, tout en gardant un ancrage dans cette société qui conditionne le destin de mes personnages. Je voulais aussi raconter l’histoire de femmes qui, à leur façon, essaient de se couper elles aussi du monde, sans pour autant pouvoir échapper à ses règles. Pour moi, l’histoire de ces deux femmes, de cette rencontre, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles deviennent, est au coeur de ce que j’ai voulu raconter. D’où le désir de les faire évoluer dans un presque huis clos, comme sur une scène de théâtre, avec une fenêtre sur le monde."