Par un concours fortuit de circonstances, j’ai appris, ce matin, à peine quelques minutes après avoir fini de le visionner, que Les misérables, énième film dont le cadre est la banlieue et les habitants qui y vivotent, et dont on nous a rebattu les oreilles avec force insistance lors des six derniers mois, a fait l’objet d’une douzaine de nominations aux Césars.
Je ne dissimule point la stupéfaction qui, en l’apprenant, me saisit ; hébété, l’oeil vague, les bras ballants, il était impossible à mon entendement d’admettre la plausibilité d'une telle éventualité. Encaissant le coup de gourdin et reprenant peu à peu mes esprit je pris conscience qu’en lisant « César » j’avais lu « Oscar ». Signe du retour à la normale. Car je tiens la cérémonie des Césars dont la vision abjecte est insoutenable pour un haut lieu de propagande idéologique à forte teneur cosmopolitiquement correcte.
Non pas que je considère la cérémonie des Oscars comme un parangon de neutralité axiologique, mais les récompenses me semblent beaucoup moins idéologiques et obéissent plus à des opérations économiques. Toutefois je ne pense pas que nos amis américains aient le front d’attribuer l’Oscar du meilleur acteur à un Omar Sy filmé en train de se tortiller frénétiquement de la croupe pendant trois minutes consécutives (le rouge me monte au front en me ressouvenant que je fus exposé à cette scène où le grotesque le dispute au ridicule). D’ailleurs, qui aujourd’hui regarde Intouchable, film médiocre qu’avait acclamé des médias applaventristes ? A l'exception de certains héautontimorouménos, pas grand monde ne le regarde pour le plaisir et au fond il ne s’est pas imposé, à la manière de la Soupe aux choux ou des Tontons flingueurs, comme un classique de la culture populaire.
Mis à part, donc, des louanges tous plus dithyrambiques les uns que les autres de la part de critiques rivalisant à l’unisson de flagornerie, je ne savais rien jusqu’alors du film et de ce qui l’entoure. J’ajoute, par honnêteté, que j’ai entendu parler des antécédents judiciaires du réalisateur qu’ont exhumés pour nuire à sa réputation des canards d’extrême-droite. Il semble que les grands principes alambiqués qu’on invoque chaque fois que l’occasion se présente pour faire le départ entre l’homme, qui est un salaud indéfendable, et l’oeuvre, incontestablement géniale, ne valent pas en cette occurrence… Ce double standard ne fait que renforcer chez ceux qui le perçoivent ainsi le sentiment d’être vus comme une catégorie à part qui n’a pas vocation à être logée à la même enseigne que le reste de la population.
En somme, j’ai regardé le film sans a priori particuliers. J’étais balancé entre l’envie de croire aux critiques laudatrices et mon tempérament plutôt dubitatif qu'on ne prend jamais sans vert.
Face à un tel film, il est donc deux appréciations possibles : l’une vierge de tous commentaires, on-dit, louanges, l’autre influencée nécessairement par le tourbillon de reptations lécheuses d'orteils. Je me trouve peu ou prou dans les deux situations. En sorte que, selon moi, la réputation qu’il trimballe par-devers lui est rien de moins que surfaite. Pour autant, je ne le trouve point mauvais, tant s’en faut.
Pour qu’un film soit considéré comme un chef d’oeuvre, digne des plus grands, il se doit d’atteindre à la perfection aussi bien sur la forme que sur le fond, et pour ce faire il doit nécessairement renouveler la manière de faire du cinéma et apporter un regard neuf. En l’espèce, Les misérables ne se distingue en rien du commun des films, ni sur la forme ni sur la forme ; il m’a fait l’effet, et c’est marrant quand on y songe, d’une copie d’écolier propre sur lui qui souligne ses nom et prénom, ne dépasse pas les marges, et qui respecte toutes les consignes, fussent-elles absurdes. Unité de temps, de lieu, d’action ; une fin cathartique ; la tragédie remplit sa vocation didactique.
La réalisation est acérée, sans fioritures, et s’appuie sur une utilisation intéressante du drone. Le scénario est insipide et inconsistant ; mon jugement, je l’entends, est sévère : le film, tel qu’il se déroule, c’est-à-dire nu d’une intrigue bien ficelée, m’a fait penser (si je retranche la fin du film qui me semble à part) à une de ces émissions des chaînes de la TNT diffusant en boucle des reportages immergés au sein des interventions de policiers avec qui le cameraman fait du corps à corps.
Les personnages, dans l’ensemble, me paraissent caricaturales (bien que les gens de banlieue soient des paroxysmes de caricature que j’appelle des prophéties auto-réalisatrices). Ce sont des stéréotypes vus et revus : le flic cynique et casse-cou, le flic suiveur, le flic, néophyte, aux mains pures, le barbu ex-racaille repentie, les gitans baise-tes-morts, la marmaille de moutards en proie à l’ennui mère de tous les vices, etc.
Ce disant, je me rappelle qu’en le regardant j’ai pensé qu’un tel film est une preuve irréfragable à l’idée développée et propagée par Renaud Camus de Grand Remplacement et de l’eau apportée au moulin du FN. Eric Zemmour n’a plus qu’à se taire et à inciter à regarder ce film. Je ne sais si c’était dans l’intention du réalisateur, mais il montre clairement que ce qu’on appelle les territoires perdus de la République ne sont plus français et sont guignés tantôt par des trafiquants de drogue, tantôt par des barbus enturbanés (qu’il présente de manière positive en tant qu’ils luttent contre les premiers cités et que, par ailleurs, le film Banlieusard passe sous silence à dessein).
La langue parlée n’a de rapports que très lointains avec le français, elle est spontanée, irréfléchie, agressive, fait l’effet de borborygmes et de glaviots ; la nouvelle génération d’individus nés sur le sol français de parents étrangers, déculturés, privés de la culture classique française, formés intellectuellement par le rap, vomit ses phrases.
Je m’empresse de faire remarquer ceci que, bizarrement, il n’y a pas de rap projeté ni dans la bande son, ni dans les lieux du film (un rapport avec la forte présence des barbus ?)
Je viens de dire que le film se signale par un scénario insipide et inconsistant ; de telle sorte que son propos s’en retrouve affecté de manière quasi mécanique : comme c’est le cas pour Banlieusard, film plus haut mentionné, on sent que Les misérables a pour prétention d’être nuancé et de filmer par conséquent sans parti pris véritable. Or, je l’ai souligné plus haut, on a l’impression de voir quelque chose qui ressemble à un documentaire et on comprend d’ailleurs pourquoi le naturalisme en art et en littérature a rapidement été vitupéré. Montrer les choses telles qu’elles sont ne permet pas de les sublimer et ne peut pas conduire à autre chose que de se vautrer dans la gadoue de l’écume des choses. Ainsi du film il n’en ressort rien ou peu s’en faut. Aucune analyse profonde. N’avoir jamais vu un pré, un champ, ou une forêt, être comme condamnée à vivre dans un caveau de ciment et d’acier, comme prélude à l’autre définitif, saturé de lumières électriques, d’ondes tapageuses, d’odeurs méphitiques, de bruits de moteurs, de machines, de gadgets en tous genres, pris en étau par des rues goudronnées et des trottoirs souillés de déjections animales, être privé d’humus, de terre, de plantes et de fleurs, de longues étendues et de hauteurs majestueuses, ne plus entrevoir les cycles des saisons et n’être plus en position d’observer l’infini du ciel, tout cela objectifie celui qui vit dans des conditions pareilles et ne lui offre d’autre perspective que le nihilisme.
L’intérêt du film est en fait ailleurs ; il est dans sa fin, point d’orgue d’une réalisation très convenue et prétexte à ce dénouement d'une violence inouïe (j’exagère un peu, j’ai vu beaucoup plus violent). Si vous n'avez pas vu le film, passez au paragraphe suivant, bien que l’on devine, car le scénario est je le répète très convenu et très inconsistant, que le film aura une pareille fin et donne l’impression fâcheuse de déjà-vu et c’est le cas : La haine, qui a plus de vingt ans maintenant, se décline selon un même cahier des charges.
Le film se déroule sur une journée, lors de laquelle on observe la vie d’une cité du point de vue de trois policiers de la B.A.C. Intervenant pour mettre le holà à une algarade entre les mecs de la cité et des gitans propriétaires d’un cirque voisin, ils apprennent qu’on a dérobé à ces derniers un lionceau. Pour éviter que la situation ne dégénère, ils enquêtent, de concert avec des caïds, pour savoir qui a fait le coup. Grâce aux réseaux sociaux, ils identifient très rapidement le voleur. Au moment de l’interpeller, il parvient à s’enfuir, aidé par les gamins de la cité. Au terme d’une course poursuite sans saveur, il est attrapé et menotté ; sur ces entrefaites arrivent les autres gamins et acculé, étouffé, mis sous pression, l’un des flics tire par inadvertance sur l’inculpé. Les policiers, à la faveur de ce cafouillage, s’extirpe de la cité, tout juste après avoir compris qu’un drone a filmé la scène. Le film bifurque alors en direction du propriétaire de la vidéo. Ils veulent étouffer l’affaire. D’autres voyous lorgnent sur la vidéo car c’est un moyen de chantage sur les flics qu’ils détestent. En fin de compte, toutes les parties impliquées, l’enfant propriétaire du drone, les voyous, les flics, se retrouvent dans le fonds de commerce d’un barbu. Scène surréaliste quand on y songe. Et qui fait passer le barbu pour une espèce de Bouddha. (J’ai beaucoup commercé avec les barbus et je n’ai jamais vu chez eux une once de sagesse). Le vidéo est finalement donnée aux flics. Tout le monde s’est accordé à dire qu’il faut à tout prix éviter des violences dont chacun pâtira. Ainsi, le temps d’une nuit, le gamin victime d’une bavure policière (cette périphrase euphémistique m’a toujours fait rire) décide, sans que l’on comprenne les évolutions de sa conscience que complique une haine sourde (et c’est difficile, en effet, car il se venge dès le lendemain des préjudices subis), de se venger et de tuer les flics avec le concert de tous les jeunes du quartier. C’est alors qu’une violence déchainée et aveugle frappe tous ceux qui ont comploté pour obtenir la vidéo. La dernier du plan du film montre des flics acculés et blessés, pris en étau, d’un côté mis en joue par leur victime de la veille, de l’autre une porte fermée derrière laquelle est présent l’enfant qui filmait avec un drone. L’un des policiers, le néophyte aux mains pures, supplie l’un d’ouvrir la porte, l’autre (à qui il est venu en aide et qu’il a soigné) de ne pas terir
. Le réalisateur invite tout un chacun à imaginer la conclusion. Tout de suite derrière, un fondu noir, puis la fameuse phrase de Victor Hugo selon laquelle il n’y a pas de mauvaises herbes, il n’y a que des mauvais cultivateurs. En écrivant ces lignes, je prends encore plus conscience de la grossièreté et de l’inanité d’un tel film. Je me rends compte qu’il s’agit d’une énième complainte dolente qui déroule le chapelet victimaire d’oppressés de la société éternellement damnés de la terre. Raison pour laquelle je ne trouve guère ce film à la hauteur de la nuance qu’il se fixait. En ayant voulu être nuancé, il est devenu manichéen au possible.
J’en viens et en termine sur l’autre intérêt du film : la citation de Victor Hugo ci-avant citée. Il n’existe pas quelqu’un qui soit plus déterministe que moi. J’ai beau retourner la question dans tous les sens, je vois des déterminismes partout et je ne crois rien tant qu’à l’idée que nous sommes les produits d’un milieu, d’une société, d’une religion et d’une génétique. Mais, comme la plupart des auteurs déterministes, Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche pour ne citer que les plus illustres, je crois que la conscience d’une aliénation permet de s’en déprendre et de s’en libérer. J’ai coutume de dire que nous sommes libres de faire tout ce que nous voulons, mais que la vraie liberté consiste à ne pas faire ce que nous pourrions faire. C’est pourquoi, sans récuser le bien-fondé de la formule hugonienne, j’en conteste l’interprétation tendancieuse et complaisante qui en est faite par le film Les misérables et fleure par trop les explications sociologisantes. A la réflexion, il n’est rien de pis qu’un individu qui me dise : « Tu n’es pas libre du tout ».
Chaque être est une conscience. C’est-à-dire quelque chose qui est toujours hors de soi, qui met partout de la distance et du recul, qui fait spectacle de tout ce qui est, qui n’est jamais telle chose ou telle autre, qui est échappement à soi, arrachement, fuite, et qui refuse toute assignation ontologique. Certain philosophe parlerait de « néant ». Du reste toutes les philosophies, toutes les sagesses, toutes les spiritualités préconisent un retour à soi et rappellent l’importance de l’examen de conscience. Victor Hugo, compris de travers en l’occurence, irait dans mon sens puisqu’il fait de Jean Valjean, ancien forçat, un bienfaiteur de l’humanité, épris de justice et de probité. Assigner quelqu’un dans le rôle du délinquant, et lui expliquer qu’en cela il est une victime de la société et qu’il n’est rien qu’il puisse faire, en sorte que la fatalité devient système et prison, c’est agir pour qu’il ne puisse plus se prendre en charge lui-même, c’est détruire sa conscience et bientôt la conscience de la société, c’est lui faire renoncer à l’exercice sa liberté c’est-à-dire à sa qualité de d’homme.
Donner, enfin, pour titre Les misérables à ce film c’est nécessairement établir un lien avec l’oeuvre hugolienne. Or je ne vois pas quelles ressemblances il y a entre des habitants de cité, où des millards d’euros sont investis, où tout le monde a un toit sur sa tête et mange à sa faim, a accès à l’école gratuite, aux soins gratuits, peut se payer des téléphones dont le prix équivaut à un voyage aux Etats-Unis et peut fièrement faire l’étalage prostitutionnel de vêtements de marque qui lui donnent une personnalité ; et les personnages que Victor Hugo décrits : de pauvres hère exploités, humiliés, oppressés, la peau sur les os, édentés, se prostituant pour survivre, n’ayant qu’un quignon de pain par jour pour tout dîner, contraints de monnayer leur cheveux et les dents qui leur restent, acceptant toutes les compromissions pour atténuer les horreurs d’une vie inhumaine.
En résumé le film est moyen : aussitôt vu, aussitôt oublié.