Il y a un peu moins de 200 ans, Victor Hugo racontait Montfermeil : C’est là où vivaient les Thénardier, où ils faisaient trimer Cosette jusqu’à ce qu’un repris de justice ne la rachète, au sens littéral du terme. Montfermeil, aujourd’hui, c’est là où Ladj Ly a grandit, là où il vu maintes fois la BAC en action, et c’est là qu’il décide de tourner « Les Misérables », son film coup de poing. Entre le générique de début, qui se situe le 15 juillet 2018 lors de la finale de la Coupe du Monde, et la dernière image de fin, à peine quelques jours plus tard dans un immeuble de Montfermeil, 1h40 d’un film inoubliable, remarquablement bien scénarisé, bien filmé, au casting soigneusement réfléchis et qui ne peut laisser personne indifférent. Il n’est pas très long, son film, mais c’est vrai qu’il est éprouvant car c’est 1h40 de tension palpable, sans jamais de temps mort pour souffler, sans une minute sans un sujet à réflexion qui bouscule nos certitudes. « Les Misérables » n’est pas un film de détente que l’on va voir comme ça, pour se faire une toile sympa entre copains, c’est une séance à laquelle il faut un peu se préparer, et dont il faut se remettre ! Techniquement déjà, la qualité du film saute aux yeux. Ladj Ly tourne beaucoup caméra à l’épaule et pourtant on n’a jamais cette impression de mal au cœur qui accompagne parfois cette manière de tourner. Plans soignés (notamment aériens), musique très peu présente mais remarquablement bien utilisée (une musique un peu assourdie, qui « pèse » sur l’image), un montage hyper dynamique, Ladj Ly maitrise pleinement son sujet. Il s’agit là de son premier long métrage de fiction, autant dire qu’avec un grand prix à Cannes il pose déjà la barre très haute et qu’on va très vite entendre de nouveau parler de lui. Avant de parler du point fort du film, à savoir son scénario, je voudrais faire deux mentions spéciales pour Damien Bonnard et Alexis Manenti, deux comédiens qui m’étaient jusqu’ici inconnus mais qui sont impressionnants. Le premier dans le rôle du candide, qui découvre la réalité de Montfermeil, et pose un regard mi ébahi – mi effaré sur la Cité, mais aussi sur l’attitude de ses deux collègues. Le second, dans le rôle difficile et ingrat du bacqueux raciste et impulsif, imbu de son petit pouvoir de cow-boy, un type foncièrement dangereux que la Police Nationale devrait d’urgence changer d’affectation. Il est parfait, Alexis Manteni, dans le rôle de Chris. De tous les personnages plus ou moins fréquentables de Montfermeil, c’est lui qui me fait le plus peur, objectivement. Et puis je m’en voudrais de ne pas mentionner Issa Perica, dont le regard dans la tout ’image de fin, juste avant le fondu au noir et le générique, s’est imprimé dans ma rétine et pour longtemps. Mais c’est par l’intelligence et l’équilibre de son scénario que Ladj Ly emporte la timbale. Alors qu’il y a 25 ans, Mathieu Kassowitz filmait plus ou moins la même réalité du point du vue unique de 3 lascars de banlieue, Ladj Ly choisit un double regard, celui la Cité et celui de la BAC. Son intrigue se cale sur à peine plus de 24 heures, une poignée d’heures qui suffit à embraser toute la cité et qui conduit à l’irréparable. Un vol d’un petit lionceau dans un cirque, les esprits qui s’échauffent, une interpellation faites trop vite, dans de mauvaises conditions et tout l’équilibre précaire de la Cité vole en éclat. Le film montre parfaitement la rapidité inouïe avec laquelle les choses dégénérèrent. Là où le film est pertinent, c’est qu’il ne décerne jamais de bons points ou de mauvais points : les gamins désœuvrés, les caïds que la mairie paye pour maintenir la paix sociale, les policiers qui font ce travail depuis trop longtemps (et parfois y prenne un plaisir malsain), les dealers qui veulent la paix pour continuer à trafiquer tranquille, les Frères Musulmans qui cassent les trafics et maintiennent le calme mais pour mieux répandre leur prêches mortifères, Ladj Ly les renvoient dos à dos. Ou plutôt non, ils ne les renvoient pas dos à dos (ce qui serait stérile), il montre qu’ils sont tous responsables de la situation, qu’ils en sont tous les victimes (voir l’incroyable scène de fin) mais ils ont tous en eux également, sans doute, la solution. Ce que vous croyez savoir de la vie en banlieue, bien calée dans votre fauteuil devant votre 20h, vole en éclat sous vos yeux devant « Les Misérables », le film bouscule les certitudes de ceux qui en avaient, la complexité inextricable du « problème » vous laisse sur le flanc, et vous comprenez que les « Plans Banlieue », les solutions politiques à l’emporte pièce, les discours incantatoires sur les « Quartiers Difficiles », tout cela n’a aucune chance de produire un jour une amélioration. Il n’y aura aucune solution simple à une situation si complexe, et ceux qui prêchent le contraire nous mentent. Il y a beaucoup de scènes fortes dans « Les Misérables », sans parler de la scène finale, qui vous laisse pétrifié sur votre fauteuil de cinéma. Beaucoup mettent mal à l’aise car elle montre des policiers se comporter de façon au mieux navrante (la scène de l’arrêt de bus) parfois irresponsable (« Ne t’excuse jamais, ici on a toujours raison »), au pire indigne voire presque criminelle (avec le gamin blessé). Ladj Ly, qui a beaucoup filmé la BAC en action dans sa cité n’a surement rien inventé. Et pourtant, il ne porte pas sur ces flics un regard idéologique, ceux qui seraient tenté de croire cela se trompe et devraient aller voir le film. Les bacqueux des « Misérables » sont aussi des habitants des quartiers, ils sont aussi des victimes d’un contexte qui les écrase, ils ne sont ni des fascistes, ni des machines, juste des êtres humains à qui la société a confié un sale boulot mal payé et mal reconnu. La toute dernière image, terrifiante, celle qui précède le fondu au noir et le générique de fin est un point d’interrogation, c’est la manière intelligente qu’à trouvé Ladj Ly pour montrer que tout n’est pas fichu, que la solution est en chacun des protagonistes, qu’il suffit parfois de faire un geste
(de baisser un bras)
, pour que la raison et l’humanité l’emporte au final. Il y croit encore, je suis sure qu’il est dans le vrai.