Tout était à craindre de ce film sur la pornographie hardcore, annoncé par une bande-annonce qui joue dans ses premières secondes sur une ambivalence racoleuse et par une affiche du même acabit. Mais les échos de la presse soulignant que c'est l’œuvre d'une femme qui a construit une vraie complicité avec sa comédienne contrecarrent cette première impression de malaise. Pleasure est en effet un film bien plus complexe et bien plus intéressant que les apparences le laissent supposer. Il serait fort long d'expliquer pourquoi. Cela tient, d'abord et avant tout, à la trajectoire de cette très jeune Suédoise venue à Los Angeles pour percer dans le porno hardcore. Ses motivations réelles interrogent tout le long du film et jusqu'à une fin d'une grande efficacité et d'une grande intelligence. Pourquoi s'inflige-t-elle tout cela ? L'argent ? La gloire ? La recherche d'une nouvelle confiance en soi bafouée ? Le cul ? Le frisson ? Impossible à dire, et par cette suspension des causalités, le film gagne en densité. En second lieu, l'actrice est extraordinaire. Elle incarne parfaitement cet entredeux d'une toute jeune femme innocente venue là car "les Suédois sont chiants" et devenant, étape par étape, une star de l'industrie du sexe, le tout, sans jamais en être dupe. En troisième lieu, les seconds rôles sont aussi très bien. Les amies de l'héroïne complètent bien le profil de celle-ci par les origines populaires de l'une et l'âge plus avancé de l'autre. Le regard sur les hommes est saisissant ; on pourrait y consacrer toute une critique de 10 000 signes... La jeune femme croise en effet quelques hommes attentionnés, soucieux de son devenir, de son confort, tout en la contraignant à une violence sexuelle que l'industrie impose ; d'autres sont des robots administrativo-mécaniques qui se contentent de déclamer des clauses légales avant de faire leur taf ; les troisièmes, des espères de vieux pervers libidineux venus dans le X pour épancher leurs fantasmes ; les derniers, des tarés ultraviolents qui camouflent leur sadisme derrière des justifications professionnelles. Et c'est sans compter sur cette armée d'anonymes, amateurs de porno hardcore, qui ressemblent à Monsieur tout le monde mais regardent le soir des filles de 19 ans endurer une double pénétration anale (WTF ?!?). C'est d'ailleurs l'un des grands intérêts de ce film : vous dégoûter à vie du porno hardcore... Les coulisses de cet industrie sont montrées avec une telle précision et une telle subtilité qu'on n'a plus aucune envie d'approcher en quoi que ce soit cet univers fondé sur la transgression sadique. Le quotidien de ces starlettes X alterne représentations fantasmatiques, respect des horaires et des contrats, politesse policée vis-à-vis du collègue avec qui on vient de baiser, ultraviolence et humiliation, gestion triviale de son corps et de son quotidien (lavements, lessive, etc.). Le tout, dans cette ambiance si particulière d'une Los Angeles parfaitement retranscrite. Restent enfin la mise en scène et la musique, superbes toutes les deux. Notamment cet effet de cuts blanches et noires servant à retranscrire ces moments où la violence est tellement grande que l'esprit se met en veille pour ne pas l'endurer, ou tous ces plans traduisant la perception réelle qu'a l'actrice tournant la scène et voyant les affreux pieds de l'acteur ou son visage tout bouffi. Les choix musicaux sont variés et très bien pensés. Bref, je croyais voir un petit film un peu lubrique, et dieu merci, j'ai vu une grande œuvre de cinéma, intelligente, sensible, belle et qui dénonce justement un des grands n'importe quoi sadiques du monde contemporain.