« Hardcore » et « 8MM » laissaient entrevoir la misère du milieu pornographique, tandis que « Larry Flynt » et « Boogie Nights » capitalisaient sur les nuances de l’industrie. Et finalement, elle a muté et s’est adaptée à l’arrivée d’Internet, dont on aura déjà pu voir toutes sortes de dérives dans « Don Jon ». Tout passe ainsi dans le regard que l’on porte, malgré un sujet qui peut dérouter, voire rebuter. Ninja Thyberg revient ainsi sur un court du même nom, qu’elle a réalisé huit ans plus tôt, où elle aborde la sexualité avec documentation rigoureuse. Son esprit militant anti-pornographique de sa jeunesse s’est ainsi transformé en une forme plus solennelle, afin qu’elle puisse combattre l’image par l’image. Son approche cinématographique est exemplaire, si bien qu’on ne peut s’armer de jugement au visionnage.
Il s’agit d’ailleurs de la raison pour laquelle elle a longtemps recherché sa Bella Cherry, qu’elle accompagnerait jusqu’au tréfonds du Panthéon. L’angle du message n’est donc pas dans la caractérisation du personnage, avant qu’elle ne quitte sa Suède natale pour une cité de Los Angeles très lumineuse. Pourtant, Linnéa (Sofia Kappel) est loin de rouler sur la fortune au même titre que ses colocataires rivales, qui piétinent sur les mêmes pensées de réussites. Inutiles de nous présenter de quoi il retourne, le tout est d’amener l’authenticité à l’écran tout en gardant un œil sur les coulisses, qui en disent long sur le traitement des femmes, présumées victimes de circonstance dans un milieu patriarcal, raciste et plus encore. La violence morale et physique ne sont que des vecteurs que les producteurs entretiennent sur les ouvrières du sexe. Et c’est une réalité qui ne manque pas d’être soignée. Les motivations de toutes les athlètes que nous rencontrerons passent ainsi par le choix de la conscience, au détour d’un consentement forcé, afin de percer dans un monde qui privilégie les performances et une visibilité impeccable, au détriment de l’humanité.
Oui, Bella est comme une fleur fragile et naïve, mais son destin est de le contester. Cependant, il lui faudra plus qu’un simple miroir, afin qu’elle accepte les conditions des tournages ou les diverses formes de violences, conçues dans une fiction qui peut camoufler des abus. Comme dans toute industrie hollywoodienne ou une branche quelconque, il est possible de s’identifier au sacrifice de Bella, ne serait-ce que pour se donner une chance d’évoluer et de trouver cette zone si confortable, qu’on ne se plaindrait plus de rien. Et la réalisatrice suédoise met alors le doigt sur cette envie de liberté, qui entre parfois en contradiction avec nos valeurs personnelles. C’est ce que l’on ressent et c’est ce qui justifie sa mise en scène, jamais voyeuriste et toujours au service d’un discours méthodique, en distinguant la femme de l’objet de tous les désirs.
C’est donc entre les paillettes et la folie préconçue que « Pleasure » devient un outil pédagogique pertinent. Si Thyberg tente l’expérience empirique pour plaider la cause de son héroïne, elle ne manque pas d’y injecter de la tendresse, même dans une performance des plus délicates ou en usant du silence pour ponctuer la scène d’ouverture d’un ridicule assumé. Le portrait d’un milieu tabou déborde ainsi de sa juridiction pour insister sur l’universalité du cynisme au travail, celui qui blesse, celui qui brutalise et celui qui musèle même les plus habiles dans un système, dont on connaît que trop bien ses articulations. La cinéaste nous invite ainsi à discuter et prendre du recul sur un phénomène culturel malsain et misogyne, chose que de nombreuses Bella sont les premières à ne pas ignorer.