Le Laos est une terre fertile et sauvage, mais surtout harmonieux, où l’habitant prête plus d’attention à son confort de vie qu’à sa propre ascension, alors que d’autres en convoite ses richesses. Simon Kiyé Luang est un de ces réfugiés politique, à qui on lui a amputé ce privilège. Alors qu’il continue renouer avec ses racines, comme il a déjà pu le montrer via de court-métrages expérimentaux (L’Île Éphémère), des documentaires plus conventionnels (Ici finit l’exil) et avec une première fiction, qui n’a pas trouvé les salles obscures (Tuk Tuk), il délivre à présent toute l’expression de son art et d’un pays qu’il a hâte de nous faire découvrir et redécouvrir. Il y mêle plusieurs narrations, où il s’agira de trouver sa destination, d’atteindre l’autre côté d’un rivage et d’entrer en résonnance avec la pureté du lac Nam Ngum.
C’est justement le nœud de tout ce récit d’émancipation et cette odyssée pour les protagonistes, qui désirent, résistent et désirent de nouveau. La fracture avant le dernier mouvement est évidemment temporelle, rappelant par la même occasion cette longue période de doute et de gestation, où le cinéaste laotien a finalement accepté de faire quelques pas en arrière, et à présent, un autre de côté. Nous ne le situons plus seulement sur la berge, car il choisit également d’accompagner le mouvement et de capturer l’essence même des lieux. Les vagues offres l’opportunité à France (Nini Vilivong) de se rapprocher de sa famille, tandis que le businessman chinois, Tony Wong (Soulasath Saul), souhaiterait cultiver la sérénité du lac et de finaliser cette alliance par un mariage avec cette dernière. Il y a comme un beau sentiment, qui aurait trouvé une tout autre conclusion dans une œuvre, qui ne croit pas entièrement en l’incarnation de ses personnages. Ici, ce n’est pas sans défauts qu’ils évoluent, mais avec une lenteur qui tranche avec la monter invisible du capitalisme en ces lieux, bénis par la générosité et l’intégrité des autochtones.
Il faudra alors passer par une image qui émerveille, autant qu’il nous étouffe, dont on ne voit presque pas le bout ou que l’on confond subtilement avec un ciel dégagé. Lorsqu’Hugo (Marc Barbé) débarque, il renaît presque entièrement. Il est français, ne parle pas un mot de la langue locale, il sort à peine du nid, qu’il hésite déjà à y retourner. Il ne lui reste que l’amour et cette faible émotion qui l’habite, mais qu’il ne comprend pas assez son étendue pour en profiter. Nadine (Nathalie Richard) répond par le silence et l’absence, où l’ancien protectorat de l’Indochine devient un refuge pour ses sentiments. Tous tentent de se réinventer et de se diluer dans le calme du lac. Luang lâche alors parfois prise sur son scénario et se focalise sur le voyage sensoriel que le spectateur est en droit en partager avec les personnages. Et cela fonctionne, car plus l’on s’enfonce au cœur des eaux, plus l’on s’efface et plus on y distingue un reflet, celui d’un patrimoine et de celui qui lui accorde un simple regard.
La démonstration de « Goodbye Mister Wong » réside dans sa bienveillance, où les arguments entrent en collision, mais jamais aux dépens d’un drame. Il s’agit bien d’un fim mélo, invoquant parfois du Rohmer et un instant plus tard l’imaginaire de Marguerite Duras. La veine du lac passe par ces personnages, qui sont retenus par l’appel de l’eau douce, des traditions et d’une ouverture d’esprit curative. Les hommes ne sont plus les piliers d’une virilité intouchables, au contraire, ils s’abandonnent à leur vulnérabilité, leur ambition ou à leurs responsabilités. Mais ils trébuchent bien plus dans le tunnel d’émotions, où le mouvement illustrera leur seule façon de penser et leur unique façon de briller pour leur moitié.