Madre est un film particulièrement intéressant, d'une part parce qu'il se regarde de bout en bout sans ennui ni lassitude, porté par les deux personnages principaux, excellents, d'autre part parce qu'il exige la participation intense du spectateur. Une question en effet semble rester en suspens, du moins de manière explicite : l'enfant d'Elena, Ivan, est-il mort ou a-t-il simplement, si j'ose dire, disparu ? La question est essentielle, car elle détermine toute la vision que l'on a du personnage de la "madre", et le "jugement" que l'on peut porter sur elle. Si l'enfant est mort, que son corps a été retrouvé au bord de cette plage des Landes, transporté à Madrid pour y être enterré ou incinéré, alors Elena peut apparaître effectivement folle, ou du moins en proie à une raison égarée. SI elle voulait se rapprocher du corps de son enfant défunt, il n'y avait rien de mieux que Madrid, la tombe où repose le petit corps, l'urne où sont enfermées les cendres, et sur lesquelles elle aurait pu se recueillir chaque jour. Mais s'il a "simplement" disparu, alors on comprend que cette mère, dans un désir désespéré de retrouver un jour son enfant, qu'elle peut croire encore vivant, soit venue s'installer aux abords de l'endroit où il s'est volatilisé. Et la mère, de folle devient pathétique. Or si la réponse à cette question ne nous est pas donnée explicitement, elle l'est de manière indirecte et elle sollicite alors la capacité du spectateur à la lecture sémantique et à la lecture d'image. C'est en cela que le film est également intéressant. Pour répondre à cette interrogation, il existe dans "Madre" une scène essentielle, celle où Elena et son compagnon sont au restaurant. A la table derrière eux, un homme raconte à ses amis l'histoire d'Elena que le spectateur perçoit en voix off. Que dit-il ? Qu'on l'appelle la "folle de la plage", qu'elle passe son temps, depuis dix ans, à chercher son fils disparu dans le secteur. Nous pouvons alors en déduire que l'enfant n'est pas mort et que son corps n'a jamais été retrouvé. S'il l'avait été, tué par le prédateur sexuel dont on on devine l"ombre dans la conversation téléphonique du début entre Elena et le petit Ivan, il est probable que l'homme du restaurant aurait dit à ses amis : l'enfant est mort depuis dix ans, son corps a été retrouvé sur la plage, son meurtrier, un satyre, a été arrêté (ou il court toujours, on ne l'a jamais retrouvé....), informations qu'un narrateur ne manque pas de donner dans ce genre d'affaire. Or, il n'en est rien et le locuteur en reste au stade de la disparition, dans un lieu indéterminé, situé dans cette zone où se passe l'action. On comprend alors pourquoi Elena a choisi cette plage comme centre de ses investigations : des rochers à droite, l'immensité du sable à gauche, comme le décrit l'enfant dans le dialogue initial. Mais rien ne dit que cette plage soit le lieu de la disparition. On comprend aussi pourquoi, ayant cru reconnaître, par projection, son fils disparu dans les traits de Jean, elle le suit jusque chez lui. Mais, quand elle regarde la famille attablée sur la terrasse, elle comprend aussi et aussitôt qu'il ne peut s'agir de son fils : il est visible que cet adolescent est parfaitement intégré dans cette famille qui est la sienne (le jeu avec sa mère à propos de la salade....), qu'il y est né et qu'il ne peut en aucun cas avoir été "adopté", "recueilli" par ces gens à l'âge de six ans. Et Elena renonce immédiatement, quitte le jardin et rentre chez elle, ayant compris que Jean ne peut en aucun cas être son fils. Combien de temps s'est écoulé entre cette scène et celle où Jean vient s'attabler dans le restaurant pour la provoquer gentiment : donnez-moi votre adresse, puisque vous connaissez la mienne..... On ne sait, mais il est probable que Elena, tout à fait consciente et femme responsable (ce sens des responsabilités chez cette femme qui n'est nullement folle, apparaît implicitement dans leur dernière conversation dans la voiture), a renoncé à suivre l'adolescent dont elle sait qu'il n'y a aucune chance qu'il soit son enfant. C'est lui qu relance la jeune femme, à la faveur de cette attirance que les adolescents peuvent éprouver pour une femme plus âgée. Que pensait-elle trouver en suivant Jean ? Qu'il vivait avec une homme de trente ans son aîné (le prédateur sexuel du début), qu'il était arrivé là à l'âge de six ou sept ans, sans que l'on sache trop pourquoi......? Cette hypothèse était évidemment sans aucun fondement possible, mais une mère en désarroi est capable de tout imaginer. Enfin, ce film me semble présenter toutes les caractéristiques d'une excellent film dans lequel le cinéaste a eu à coeur de rendre son spectateur actif, analysant ce qu'il voit et ce qu'il entend pour élaborer un scénario. Ajoutons à cela que la disparition de l'enfant peut avoir eu pour cause la marée montante (certains critiques parlent de ressac, mais c'est bien une marée que l'on voit à plusieurs reprises). Quand elle rêve des troncs d'arbres sous lesquels Ivan s'était réfugié, elle les voit humide encore de l'eau qui monte jusqu'à eux. On peut donc aussi imaginer que l'enfant a disparu emporté par le flot, que le prétendu prédateur, dont Ivan ne comprend pas la langue, mais qui lui dit 'Viens, viens,...." ne cherchait qu'à l'éloigner de la marée. L'enfant, guidé par la peur, se serait alors enfuit en direction de la plage et aurait péri dans les vagues puissantes. Bref, un film stimulant pour l'intellect et qui sollicite une intense participation du spectateur.