De Rodrigo Sorogoyen, jusqu’à présent, je n’avais vu qu’un seul film : c’était « El Reino », sorti l’an dernier.
« El Reino » pour moi c’était certes maitrisé, mais c’était quand même beaucoup d’esbroufe pour cacher au final le fait que, dans ce film, l’auteur n’avait pas grand-chose à dire.
Or, étonnamment, c’est à mon sens tout l’inverse qui s’est produit avec ce « Madre ».
…Et j’ai beaucoup aimé ça.
Les premières minutes du film rappellent pourtant qu’il s’agit bien du réalisateur de « El Reino » qui est aux commandes.
L’intrigue se lance tout de suite. La tension monte rapidement et habilement. Le cadre, bien que très dynamique (sûrement trop d’ailleurs) ne se cale jamais hasardeusement.
C’est maitrisé. C’est nerveux. C’est efficace.
Seulement, telle l’annonce du virage qui va être opéré par ce « Madre », des changements formels radicaux sont déjà réalisés : absence de musique, plan séquence, déplacementdélicat du cadre. Quelque-chose de presque invisible.
D’ailleurs le film abandonne vite son amorce de thriller au profit d’un film plus posé.
Un lieu va être installé et on n’en bougera plus. Une plage presque infinie sans bordure ni points d’intérêt. Une zone qui, par effet de miroir, appelle presque immédiatement à explorer les âmes à défaut de pouvoir explorer l’espace.
Là où « El Reino » fonçait dans tous les sens à grands coups de musiques pétaradantes et de cuts à tout va, « Madre » appelle à l’introspection.
Et j’avoue que c’est sur cet aspect là que Sorogoyen a su capter mon attention : cet art de l’effacement ou plutôt devrais-je dire de la sobriété.
Car ce serait mentir que de dire qu’on ne ressent pas la patte du plasticien dans ce « Madre ».
Ce n’est pas parce qu’on joue la carte de la sobriété que le geste de l’auteur est moins évident. C’est ce que m’a d’ailleurs récemment rappelé Claude Sautet avec son « Mauvais fils » : (que j’ai découvert au cours du printemps dernier) : souvent le meilleur moyen de restituer l’émotion des personnages et la suggestion des situations reste encore de faire confiance aux acteurs et à ce que peuvent dire les moments par eux-mêmes.
Ainsi, « Madre » est tout d’abord un magnifique théâtre où chaque acteur est laissé à son talent. Leur direction est très justement menée : on insiste sur les regards, les petits gestes et les intonations bien plus que sur ce qui se dit textuellement. Au fond, ce qu’il y a à écouter et à comprendre se trouve entre les mots et dans l’électricité qui circule entre chacun des personnages. En cela d’ailleurs, le film est très intelligemment écrit. Tout en suggestion.
Au fond c’est encore le meilleur moyen de laisser sa place au spectateur pour qu’il puisse ressentir, comprendre et interpréter à sa guise.
Et moi, un cinéma qui laisse une place au spectateur, c’est un cinéma que j’aime.
D’ailleurs, cette place laissée au spectateur, elle est à la fois le fait de l’écriture, mais elle est aussi et indéniablement la conséquence d’un véritable sens de l’espace qui transpire à chaque plan.
Les lieux de rencontres et de discussions sont très souvent vides, parfois baignés dans des contre-jours remarquablement gérés.
On ressent le poids malgré l’intimisme. On ressent la fragilité et la vulnérabilité de chacun malgré la douceur de l’endroit.
D’une certaine manière, toute l’horlogerie de ce film, en cherchant à réduire le plus possible les cuts, les mouvements brusques, les musiques, parvient à créer un espace de cinéma dans lequel les personnages ne peuvent qu’être mis à nus. Et cette plage qu’on nous présente du début à la (presque) fin de ce film parvient presque à « incarner » cette démarche à elle toute seule.
La plage devient ce lieu de mise à nu. Ce lieu froid, stérile et séduisant pourtant.
Un théâtre siliceux où on ne risque rien parce qu’il n’y a rien. Un théâtre dans lequel on s’abandonne et où on se livre à l’introspection parce qu’il est rassurant à défaut d’être fertile. Un sas avant d’oser retrouver le vivant.
…Cette forêt effrayante.
C’est tout cela qui, chez moi, m’a beaucoup fait apprécier ce « Madre ».
Au fond, à abandonner l’esbroufe au profit de l’introspection, Sorogoyen a su proposer un voyage intérieur qui ne pouvait que s’opérer avec délicatesse.
Et cette délicatesse – à ma grande surprise – il a su la trouver.
Il a su explorer ces entrailles à vif de cette humanité matricielle détruite d’en-dedans. Et il a su nous les montrer, sans trop de fard ni de superflu.
Franchement c’est beau.
Et moi ça me fait plaisir de retrouver un cinéma comme ça.
Donc merci señor Rodrigo…