Dans la continuité de son « Perpétuité plus un jour », Saeed Roustayi porte son second long-métrage avec une rage et un dynamisme, qui descend indéniablement des meilleurs polars que l’on aurait déjà rencontré. Usant du chiffre hallucinant que comptent les toxicomanes de l’Iran comme titre international, nous découvrons 6,5 millions de victimes, soit 13% de la population nationale. Et là où la nuance juridique semble ironique, c’est que malgré la peine de mort imposé pour absolument tout porteur de drogue, on ne peut freiner cet autre genre d’épidémie, qui vient compléter un portrait de la misère et d’une désolation de masse. La caméra du cinéaste iranien déambule alors dans des rues, des couloirs, des cellules ou d’autres établissements, qui étouffent autant les personnages que le spectateur, surtout celui qui n’a pas l’habitude de sortir de l’influence occidental.
Avec une grande malice et un sens du mouvement, Roustayi dompte le chaos le temps d’une introspection et de plusieurs chroniques, qui touchent cette société dans le doute et avec une profonde addiction pour les vices. Dès les premières minutes, on nous propulse dans une course-poursuite effrénée entre un policier et un trafiquant, qui se conclut par une mise à mort silencieuse, invisible et suffocante. Dans cette même démarche, le réalisateur nous accompagnera dans une enquête, dans le but d’endiguer cette expansion du crack dans les rues, et à fortiori de limiter l’errance des toxicomanes. Il retrouve donc ses comédiens, Payman Maadi et Navid Mohammadzadeh, dans une opposition de force qui alimente sa fibre narrative. Le premier, Samad Majidi, est un flic intransigeant avec la loi et le devoir qu’il s’est confié, tandis que le second, Nasser Khakzad, est ce marginal, rêveur et à la tête d’un trafic majeur de stupéfiants dans la cité de Téhéran.
Alors que l’on superpose des couches de maux et d’indignation, au frais d’un système judiciaire suffisant et un rapport de force biaisé par une loi, qui pousse le plus petit maquereau à prendre les plus gros risques, pour peut-être essayer de s’extirper de la masse, c’est un duel psychologique qui s’engage. Des coups bas à base de corruptions, de violence et de domination morale viennent enrichir la cellule des protagonistes, qui ont tous un point en commun, à savoir un désaccord avec la fatalité de la justice. Tout est noir ou blanc, mais la sentence semble quasiment irrévocable et invoque sans cesse une détresse, qui désarme ceux qui ont encore la force de se défendre. Mais à quel prix ? Des familles, des carrières et des idéaux brisés par la seule force du nombre et d’une traque interminable, c’est ce que surligne très clairement l’ultime plan large, qui prend aux tripes.
Anobli par William Friedkin, « La Loi de Téhéran » (Metri Shesh Va Nim) n’est jamais mécanique, si ce n’est pour en venir explorer la psyché d’hommes et de femmes, qui ont accepté le déni comme une illusion protectrice. D’autres s’abandonnent à une dépendance, qui reflète la maladie d’une société qui ne sait plus quoi faire et qui ne sait pas comment réellement agir pour que chaque action soit pertinente et durable. Rien ne l’est ici, tout réside dans l’instant, parfois si fin qu’il ne faudrait pas grand-chose pour faire pencher la balance et c’est dans une oscillation permanente que l’œuvre nous transporte, nous terrifie et nous chante son hymne le plus torturé.