On n’arrête plus d’invoquer William Shakespeare, dans la littérature, sur la scène de théâtre, de l’opéra ou à l’écran. Welles, Kurosawa, Polanski et d’autres cinéastes se sont frottés à la malédiction d’un homme qui succombe à la tentation, qui se plie à l’influence prophétique et à son épouse. Cette fois-ci, Joel Coen revient en solo, ou presque, pour restaurer la tragédie et la folie d’un roi, malgré lui. Il en vient même à surligner le format de son récit, à même le titre, chose qui constitue toute l’hyperbole reçue pendant les 1h45 de reconstitution laborieuse. Il en appelle à l’expressionnisme de Bruno Delbonnel, notamment inspiré des Allemands Murnau et Lang, qui aura mieux géré l’effet de ses ombres dans ses œuvres précédentes, quand bien même il dépasse rarement la citation. C’est le même problème que porte cette nouvelle adaptation, qui ne sait pas vraiment s’il souhaite se ranger sur l’étagère cinématographique.
Sa sortie, bien écartée des salles, nous renvoie à un écran plus modeste et qui enterre les chances de découvrir ou de redécouvrir les origines du mal, dans des conditions recommandables. Cela dit, il est évident, au premier abord, de constater la superficialité du geste technique, trop proche du théâtre filmé. Les personnages seront souvent de face, pour justifier la sensation douteuse des dialogues. Est-ce au spectateur que l’on s’adresse ou n’est que le reflet d’un contre-champ mal pensé ? La seconde option semble tout indiquée, hélas. Les quelques rares idées de mise en scène s’écrasent donc face à la transposition rigoureuse du texte. Mais ces mots tiennent en grâce l’élan littéraire, alors que les comédiens accentuent la disgrâce dans ce qui restera. Manier le verbe dans un format aussi lourd et explicatif ne rend pas la lecture plus enthousiasmante, au contraire, nous la digérons mal, alors que le visuel aurait pu emporter une bonne partie du texte, non pas pour trahir le matériel de base ou d’en atténuer son caractère, mais pour peut-être la sublimer, comme l’on s’efforce de le faire avec un décor qui travaille correctement ses lignes.
Les personnages demeurent ainsi perdus dans un labyrinthe de culpabilités, mal servi par l’apparition de spectres ou le détachement entre le corps et l’esprit. Il n’y a que peu d’esprits qui se manifestent, malgré les prêtresses de la mort, qui ne révèlent que les failles et le mal des hommes. MacBeth (Denzel Washington) et sa Lady (Frances McDormand), abreuvés de désirs et de pouvoirs, sombrent dans une spirale de doutes, malgré la conviction de l’épouse. Le reste de l’intrigue ne diffère pas d’une destinée toute tracée, mais là où la folie gagne à exister, c’est bien dans l’évidence de la situation que dans un jeu d’acteurs excessif. Le réalisateur a du mal se séparer de la pièce pour enfin libérer sa créativité du cadre et de l’espace, comme lui et son frère Ethan nous l’ont bien démontré, à maintes reprises et avec un engouement inexistant dans ces circonstances.
« The Tragedy of MacBeth » cultive un profond malaise en décidant de ne pas exploiter le potentiel du champ, de sa profondeur et des personnages secondaires, qui alimentent également cette descente aux enfers du couple sur le trône. Le tournage en studio n’est pas un choix contesté, mais un choix inabouti, qui laisse des traces derrière son passage, en plus d’un goût amer pour ses incarnations et ses écueils. La proposition peut néanmoins plaire à celles et ceux qui n’envisageraient pas d’observer cet effondrement humain autrement que dans un format pictural, là où le mouvement et le chaos se cacheront dans une petite tâche en arrière-plan.