La réalisatrice et professeur de langage filmique à l’école universitaire des arts TAI de Madrid, Ainhoa Rodríguez présente son premier long-métrage « Destello bravío » ancré dans un petit village de l’Estrémadure à l’ambiance mystique et singulière. Ce dernier a remporté une kyrielle de prix dont la Biznaga de Plata du Prix du Jury du Festival de Malaga 2021 ainsi que du meilleur montage, mais également passé par le Festival International du Film de Rotterdam, le Festival International du Film de San Sebastián ou encore le Festival du Cinéma Espagnol de Nantes.
Ainhoa Rodríguez nous fait entrer dans ce village particulier via l’apparition de différents personnages féminins : « Va a pasar un destello bravo, bravío, y todo va a cambiar... » énonce au préambule le personnage d’Isa, qui se parle à elle-même ou plutôt qui s’enregistre afin de laisser un message lorsqu’elle disparaîtra ou lorsqu’elle perdra la mémoire. Cita est invitée à un mariage dans une maison remplie de saints et de vierges. María retourne au village pour affronter sa solitude ; et un groupe de femmes se réunissent chez l’une d’entre elles quotidiennement, pour passer le temps, et lutter contre la solitude mortuaire dans ce village où jamais rien ne se passe ; et s’ensuit alors des expériences sibyllines mais libératrices pour ces dernières, en osmose avec le passé et le lieu où elles furent heureuses autrefois, loin des hommes et de l’oppression qu’elles vivent au jour le jour.
« Destello bravío » est une expérience cinématographique. Très énigmatique, où tout est joué sur la forme et non sur le fond. Les plans sont fabuleux, et les techniques cinématographiques employées – caméra à l’épaule, plans d’ensemble, caméra statique – par la réalisatrice sont intéressantes pour un premier film. Néanmoins, le sujet laisse clairement sur le carreau, et peut laisser plus d’un spectateur perplexe et confus. Ce premier film part d’une fiction qui se nourrit du documentaire pour conter la vie de différentes femmes dans ce petit village d’une localité du Sud de l’Espagne, juste à côté de Badajoz, précisément dans la région de Tierra de Barros. De plus, les acteurs non professionnels renforcent le sujet du film, à savoir offrir la parole aux femmes « invisibles » d’un village perdu de l’Espagne, à l’instar de celui de las Hurdes dont avait filmé Buñuel dans « Terre sans pain » (1933). En effet, Ainhoa Rodríguez met en exergue le naturel, le quotidien, la solitude, le temps qui passe inexorablement lors de cette expérience cinématographique, qui bouleverse les codes et les genres, qui rompt avec la narration traditionnelle – introduction, développement, dénouement –. On observe alors que l’un des buts de la réalisatrice était de souligner l’invisibilisation des personnages – personnes féminines, certaines femmes « invisibles » de la localité de Tierra de Barros, dans le petit village du « Pueblo de la Reina » qui confrontent quotidiennement l’oppression féminine et l’oubli du monde rural et ses valeurs au profit du monde urbain, et où leurs vies semblent suspendues dans le temps et l’espace, dans ce village aux mystères insondables.
À travers ce long-métrage, la réalisatrice aborde des thèmes tels que la religion, le réalisme magique, la féminité opprimée contre la domination sexuelle, la vieillesse, la fuite du temps, la mort, le désir, la nostalgie du passé et de l’enfance, la misère, les tabous, la confrontation entre rural et urbain … et tout cela est bien exécuté grâce au montage et le son du film. En effet, elle présente un village où il ne se passe « rien » mais au contraire, un ensemble de sujets sont mis en lumière via la caméra de Rodríguez. Et pour ce faire, la réalisatrice est partie vivre à Pueblo de la Reina durant neuf mois, qui ont précédé le quatre semaines de tournage, afin de s’imprégner de la culture, des traditions et des coutumes ainsi que de l’expérience des femmes du village.
Le paysage et le village sont ainsi deux protagonistes à part entière, qui favorise l’ambiance à la « Twin Peaks » de David Lynch mais également influencée par le cinéma de Luis Buñuel notamment lors d’une scène troublante où toutes les femmes d’un certain âge expriment leurs désirs sexuels autour d’une table durant un repas, en commençant à se toucher, lors d’une séquence filmée au ralenti rappelant le cinéma buñuelien. De plus, les caractéristiques du cinéma lynchien sont évidentes dans le premier long-métrage d’Ainhoa Rodríguez : l’ambiance énigmatique et mystérieuse d’un village, la beauté des plans, le jeu constant entre obscurité et lumière, l’ambivalence entre réalité et fiction voire entre naturalisme et surréalisme, etc.
Cependant, et voici le gros point noir du long-métrage : le film est un ensemble de succession de scènes, sans lien entre elles, et une certaine redondance et lenteur apparaît rapidement et nous sort directement du film malgré les prouesses techniques et cinématographiques.