Stereo est une expérience troublante. Tous les éléments de la réalisation sont là pour perturber le spectateur et le mettre dans un état similaire aux personnages. Le premier film de Cronenberg pourrait presque être comparé à un film expérimental, où la forme rejoint idéalement le fond dans cette étude des relations sociales. Les personnages, sujets d'une expérience scientifique visant à développer la télépathie, vont connaître des évènements périodiques aux diverses causes et effets ; alimentée par des commentaires nous renseignant sur l'expérience, l'image va être toujours liée à ce que la voix nous apprend. Le complexe canadien, cadre de l'expérience, va nous apparaître comme une bulle où sont enfermés les patients, filmée avec des effets destinés à la rendre mystérieuse, voir terrifiante : travelling avant, renversement du cadre etc.
Difficile de décrocher une fois plongé au cœur de l'expérience, ce mélange entre cette fascination dérangeante et cette ambiance malsaine ne nous laissant pas indemne. Des rapports de force naissent entre les sujets, entre confiance et méfiance, on ne sait pas qui domine, qui subit, et on est incapable de savoir jusqu'où le malêtre créé par ces communications peut aller. Les êtres humains deviennent secondaires par rapport à ce qu'ils sont entrain de créer, un groupe de personnes uni par des liens qui dépassent l'entendement, une entité générée de ces communications télépathiques. Le travail psychique mis en évidence, les faiblesses mentales des patients qui se dévoilent au fur et à mesure et les risques causés par de telles expérimentations nous sont toutes présentées avec une maîtrise telle que l'on ne peut rester insensible.
Ce silence absolu, cette absence de relation sensorielle avec les personnages, joue sur notre propre psychisme et nous transmet littéralement leurs craintes. Car, malgré la présence d'une voix-off qui pourrait mettre une distance entre le spectateur et les personnages, l'empathie est présente, la peur de savoir ce que peut provoquer de telles relations se voulant de plus en plus insistante. C'est une véritable étude de l'humanité, de sa conscience d'appartenance à un groupe, de ses rapports de force constants, et de sa manière d'y réagir. Persuasion, protection, tout est au rendez-vous, et les divers duo ou trio qui partagent l'écran sont non seulement joué par des acteurs aux gueules uniques, mais aussi par des acteurs qui parviennent à nous apparaître sympathiques et détestables à la fois.
Le film, dans sa composition, du montage aux choix artistique, sert un discours qui gagne en intensité au fil des minutes et qui en une heure seulement arrive à nous prendre dans son jeu, dans son expérience, et nous devenons un patient comme un autre, aux craintes grandissantes. Émerger de Stereo n'est pas chose facile, j'ai rarement vu un film aussi dérangeant, qui pourrait être très mauvais, mais qui, grâce à des choix judicieux, devient beau, et surtout fascinant.