Un des articles que j'avais rédigés sur Facebook concernait déjà un film (« Somewhere » de Sofia Coppola, qui selon moi n’avait pas été reçu par le public à sa juste valeur). De même, j’ai peur que « A cœur battant » de Keren Ben Rafael ne soit « victime » de mauvaises interprétations ou d’a priori qui éloigneraient malheureusement certains spectateurs des salles.
Un conseil : allez au delà du pitch (réducteur) d’un couple « mis à rude épreuve par la distance et les écrans interposés ».
En voyant ce film, j’ai exactement ressenti ce que j’avais perçu dans la bande-annonce : non pas l’histoire d’un couple qui vit à distance et par Skype interposé, mais juste l’histoire d’un couple et de ses difficultés.
J’ai trouvé ce film remarquable à bien des égards.
Son histoire, sa genèse, tout d’abord.
Lauréat du concours du Biennale College Cinéma de la Mostra de Venise pour la promotion des jeunes talents, le projet a été entièrement financé par la subvention de 150.000 € en respectant le délai imposé d’un an pour livrer le film et le présenter au festival suivant. Ecriture du scénario en un mois, puis casting, tournage, montage, post-production etc. en moins d’un an. Une belle performance de toute l’équipe ayant contribué au film, à commencer par la réalisatrice et sa co-scénariste, venues nous raconter leur aventure après la projection.
Remarquable ensuite, la performance de ses acteurs principaux, Arieh WORTHALTER et Judith CHEMLA, criants de vérité, mais aussi de Noémie LVOVSKY, une fois de plus formidable de naturel.
« A cœur battant » est également remarquable du point de vue technique cinématographique - un cas d’école potentiel pour les étudiants de la FEMIS :) Je ne m’y connais pas assez pour développer ce point, mais je peux parler de ce que j’ai ressenti grâce à ce point de vue particulier de la caméra, tout en subtilité là encore : j’ai oublié la distanciation et l’intermédiaire numérique entre Yuval et Julie, me concentrant sur ce qui était en train d’arriver à leur couple.
Remarquable par les émotions qu’il procure. Certes je suis facilement transcendée par les émotions ;), mais voilà un film touchant au sens littéral du terme : il vous touche car il vous attrape par le cœur.
« A Cœur Battant » parle tout simplement de l’amour et de la difficulté de construire un couple au quotidien, après l’idyllique période de la rencontre et de la fusion. La difficulté lorsque l’on veut construire une vie à deux (puis à plusieurs avec des enfants), c’est l’après, c’est la suite. Après la construction vient malheureusement trop souvent (de nos jours ?) la désillusion, puis tristement la déconstruction.
Et la distance et Skype n’y sont finalement pas pour grand-chose, voire pour rien.
Ce film traite de la difficulté de faire perdurer l’entité couple, alors même que l’amour est là, véritable et palpable. C’est le paradoxe de l’amour qui est mis en lumière, comme le résume si bien le personnage de Gérard Depardieu dans le Dernier Métro de François Truffaut : « c’est une joie et une souffrance ».
Lorsqu’on aime, on est heureux, tout en devenant vulnérable. Et c’est ce qu’il faut accepter pour aimer vraiment. Or il est bien difficile pour beaucoup d’entre nous, comme le personnage de Yuval, de laisser tomber toutes les barrières de protection que l’on construit autour de soi pour se protéger.
Ce film traite aussi, avec une finesse remarquable, de nombreux sujets tournant autour de ce couple : la mixité de confession religieuse et de culture, la lâcheté et l’égoïsme, la peur de l’engagement et des responsabilités liées à la paternité, le courage des mères élevant seules leur(s) enfants, la peur de basculer définitivement dans le monde des adultes et l’envie de rester un enfant, chez ses parents, à faire la fête, à choisir un métier artistique sans l’assumer vraiment (le personnage de Yuval, photographe, se cache derrière le fait qu’il ne trouve pas de contrat en France et est touché dans sa virilité par le fait qu’il ne gagne pas (assez) d’argent et que c’est sa femme qui fait vivre la famille).
A la fin (pas de spoiler, rassurez-vous), chacun peut imaginer sa propre suite de l’histoire. Il est d’ailleurs amusant de constater, à travers le titre du film en anglais (The End of Love, sombre et pessimiste) et le titre français (A cœur battant, plein de vie et d’espoir), la vision quasi opposée des 2 co-scénaristes au sujet du destin de leurs personnages, comme elles nous l’ont expliqué… et comme un clin d’œil à l’universalité de cette histoire.