Bon, faire un biopic sur Yanis Varoufakis, c'est carrément moins glamour que sur Elton John. Et la guerre de la Grèce contre la Troïka, c'est moins palpitant que la guerre de Troie.... Même Costa-Gavras, de retour au pays natal, et capable de faire du cinéma "grand public" avec des faits politiques, ne peut empêcher que son film ne soit, parfois, ardu. Et je lui ferais un petit reproche: tous ces gens là s'appellent par leur prénom, normal, on est du même monde.... mais nous autres, pauvres pékins, avons l'habitude de les caractériser par leurs noms de famille, d'où, parfois, perplexité....
Quand Syriza, parti de gauche, accède au pouvoir en Grèce, il hérite d’une situation empoisonnée. Minée par des décennies de corruption, de fraude fiscale, de laxisme en tout genre et par les salaires exorbitants des hommes de pouvoir, la Grèce est écrasée sous les dettes…. Les partenaires européens proposent un choix simple : quitter l’Union Européenne, ou accepter le MoU (Memorandum of Understanding), un plan supplémentaire d’austérité draconien. Salaires et retraites ont déjà été réduits au-delà du supportable ? Il faut les réduire encore. Il faut vendre quatorze aéroports –comme par hasard, il y a un acheteur allemand tout prêt ! Il faut vendre les ports du Pirée et de Thessalonique…. La gauche a été élue, naturellement, pour s’opposer à tout cela. Et c'est Yanis Varoufakis (l'excellent Christos Loulis),ministre des finances, qui est envoyé à la castagne par Alexis Tsipras (Alexandro Bourdoumis). Le film étant tiré du livre de Varoufakis, et Costa-Gavras lui même un homme de gauche, le film est évidemment un peu partisan.
Leurs opposants ne se privent pas de critiquer ces deux jeunes hommes arrogants, qui s'imaginent qu'ils vont faire la loi, et qui marquent leur modernité en se présentant sans cravate dans des réunions où tout le monde en porte (ce qui est plutôt une marque de puérilité, car s'opposer à ce genre de norme c'est lui donner une importance qu'elle ne mérite pas...) De plus, Varoufakis, brillant orateur, adore répondre aux journalistes.... Mais le film fait magnifiquement ressortir l'étroitesse d'esprit d'un milieu pathétiquement obnubilé par l'orthodoxie financière. Les arguments de Varoufakis sont quand même limpides: plus d'impôt veut dire plus de faillites, donc des pertes d'emploi, donc moins de création de richesse; des diminutions de salaire, c'est moins d'achats, donc là encore, appauvrissement général... Mais à ces arguments de bon sens, les "flics" de la "Troïka" chargée de surveiller le pays en faillite, formée des représentants de le Commission Européenne, de la Banque Centrale Européenne et du Fonds Monétaire International, fonctionnaires à oeillères, dont la solution est de pressurer au maximum les populations pour assurer le triomphe du libéralisme, restent sourd...
Après la tournée des capitales européennes effectuée par Varoufakis, le spectateur est promené entre les réunions de la Commission Européenne et de l'Eurogroupe, formé par les ministres des finances des différents états membres et présidé par le néerlandais Jeroen Dijsselbloem (Daan Schuurmans). Le père Fouettard en chef est le redoutable Wolfgang Schaüble, ministres des finances de l'Allemagne, tyran mutique en chaise roulante, magistralement interprété par Ulrich Tukur (qui restera toujours pour nous Wilhem Uhde de Séraphine...)
Les deux jeunes hommes essayeront toutes les techniques possibles; une intervention directe d'Alexis auprès de sa copine Angela, qui serait en froid avec Wolfgang? Rien n'y fait. Un baroud d’honneur sera l’organisation d’un référendum qui verra le pays, assez naturellement, voter contre l’adhésion au MoU ; mais Tsipras sera finalement obligé de lâcher son ministre des finances, et tout cela se terminera en août 2015 par l’acceptation d’un mémorandum un peu amendé, mais, dans ses grandes lignes, conforme aux vœux de la commission.
Nous apprécions au passage le traitement attribué à nos compatriotes; l'élégante Christine Lagarde (Josiane Pinson) est plutôt favorable au compromis; mais les garçons, qu'est ce qu'ils prennent! Michel Sapin (Vincent Nemeth plus vrai que nature!) et Pierre Moscovici (Aurélien Recoing très ressemblant), qui disent blanc face à Varoufakis et noir face à Schaüble, des faux jetons patentés...
On ressort en ayant l'impression d'en avoir beaucoup appris sur le fonctionnement des instances bruxelloises, et franchement, c'est pas beau à voir. Mépris des peuples, arrogance de fonctionnaires qui savent qu'ils ne seront jamais sanctionnés.... Merci, Costa-Gavras! Un film pareil, aussi improbable, il fallait oser s'y lancer, et vous l'avez fait! Ironiquement animé par les joyeux bouzoukis d'Alexandre Desplats, c'est un témoignage des horreurs de notre temps, moins horribles certes que celles de Z ou de l'Aveu.... mais horreurs quand même!