La sortie se fait discrète, à l’image d’un cinéaste qui ne semble plus pouvoir vivre avec son temps. L’identité de Woody Allen n’est plus un mystère, mais dans le paysage cinématographique actuel, il est bon de se rappeler d’où vient ce New-Yorkais. Son attrait pour les grandes cités est indéniable et il revient ici avec un décor assez atypique, ou presque, car dans la plupart de ses univers, il les aborde sous l’angle d’une carte postale, doublée d’une lettre romantique. S’il s’agit souvent du fond des récits, il convient alors de broder des personnages, dont un alter ego de lui-même, quand bien même il est prêt à enfiler cette double casquette. Ce passionné de littérature et de cinéma européen débarque ainsi sur San Sebastian, où la fréquentation annuelle est à son pic.
Ce choix n’est par arbitraire et met le doigt sur ses premiers amours, dont on constatera les références, plus ou moins ludiques, alors que le monde de Mort Rifkin (Wallace Shawn) s’écroule. La culture d’autrefois n’est plus et ce double du cinéaste insiste sur l’ermite qu’il représente, incapable de comprendre la mutation du septième art, qui défile sous ses yeux, entre cocktails et soirées musicales dont il se serait bien passé. Le cadre du festival ne l’intéresse plus, car les films témoignent d’un ton trop réaliste, plus politisé et trop caricatural. C’est ce qui se vend et c’est ce qui gagne à être adulé. Hélas, toute la place laissée pour communiquer et faire interagir deux époques est substituer par cette même rengaine sentimentale, éphémère, pleine d’espoir et de désillusion. Le cinéaste s’en amuse, mais rares seront les moments où il nous fera entrer dans son film et dans son commentaire au cœur brisé.
On ouvre avec un psychologue, qui écoute attentivement les maux de Rifkin et le spectateur est prié de faire de même, en les pesant et en les interprétant à son tour. C’est ce que l’on pourrait croire, mais le récit nous mâche le travail, sans subtilités, en balançant du Citizen Kane à-tout-va. La rêverie du personnage est donc à la hauteur de ses contradictions, lui qui commence à s’éloigner de sa femme pour se rapprocher d’une autre. Cette escapade est marquée par une visite touristique de San Sebastian, sans superposition cohérente comme Allen l’a très bien fait avec des villes vivantes et parfois bruyantes. Mais il agonise ici, en même temps que son œuvre, finalement inachevé, dont il partage de désarroi aux côtés de Mort, un romancier qui n’arrive pas à percer sur une scène plus grande qu’une salle de classe. Exit Truffaut, Godard, Bergmann, Chabrol, Lelouch, Buñuel, Fellini, etc. Tout cela appartient au passé ou au monde des fantasmes, qu’il pastiche avec un zèle reconnaissable, mais sans l’étincelle cinéphile qui rendrait la chute plus conséquente.
Que devient-on lorsque nous sommes dépassés par l’histoire que l’on partage depuis des années ? Il n’a plus rien à construire et « Rifkin’s Festival » constitue un de ses chants du cygne les plus évidents, avec uniquement de la pauvreté comme argument d’un manque d’inspiration. Dans tous les cas, le résultat n’est satisfaisant pour personne et ce serait dommage de s’attarder trop longtemps sur cet entracte, un peu trop monolithique sur les réserves d’un cinéaste qui semble avoir répondu à ses propres interrogations. Si la mort n’est pas encore prête à venir le récupérer lui et sa carrière, il reste une infime chance de découvrir cet ultime testament qu’il attise tant.