Le réalisateur Koji Fukada profite de l'absence des deux monstres du cinéma japonais (Kurosawa, Kore Eda) pour sortir deux films cette année. Le premier disponible dans les salles est L'Infirmière. Les tentatives de thriller des deux modèles de Fukada ont leurs détracteurs mais Creepy et The Third Murder sont selon moi deux réussites majeures de leur auteur. Fukada a moins d'expérience et sans doute moins d'audace. En effet, L'Infirmière ressemble à un mix des deux films cités plus tôt avec des maladresses en plus. Du côté purement esthétique, Fukada n'a pas à s'en faire : il est en parfaite maîtrise de ses moyens. Le découpage des plans est en cela remarquable. Il y a une vraie fluidité dans la mise en scène. Le réalisateur s'autorise des scènes statiques et très belles proches de la peinture mais sait bien gérer la tension et signe un montage soutenu et efficace. Fukada parvient en effet à faire ressentir l'étouffement progressif de l'héroïne, notamment lors des scènes où les journalistes et photographes la poursuivent. Il filme diablement bien les bains de foules, aussi rares soient-ils dans ce film. Il trouve toujours le parfait angle pour filmer une action : la maison où travaille l'infirmière est pleine de recoins pour expérimenter des cadrages, des focales, des tons d'image. Fukada semble apprécier les doublements d'écran avec les vitres (scènes de voyeurisme de l'héroïne, scène de cours dans un restaurant) et en fait de très belles choses un peu comme Kore Eda dans son film de procès.
Fukada sait aussi bien perdre son spectateur dans l'espace (dans quel quartier est-on, notion de distance, de danger) que se servir de moyens de mémoire (les personnages avant tout, une lampe qui clignote éternellement, un passage piéton). Si la majorité du film repose sur une image terne, un peu glacée, à l'image de l'héroïne au sourire faux et froid, certaines scènes sortent du lot : la scène double du zoo que Fukada rend drôle par la superposition des visites mais aussi gênante avec ce que l'héroïne raconte ; la scène de cours au restaurant d'une beauté à couper le souffle notamment grâce au travail parfait sur les lumières chaudes. Fukada est aussi à l'aise avec son récit qu'avec le ton du film. Certaines scènes abruptes mais brèves lorgnent vers le n'importe quoi, c'est vrai. Heureusement, ce sont essentiellement des scènes de rêve (l'infirmière qui se prend pour un chien, la scène de sexe interrompue par la lumière) mais on sent que Fukada exagère et s'égare (un peu comme dans Chanson douce sorti l'année dernière).
Néanmoins, le réalisateur sait installer une atmosphère étrange et malsaine autour de l'héroïne et surtout grâce à l'héroïne. Certains comportements de l'infirmière donnent des frissons et jouent avec les nerfs (les bruits de bouche) si bien que lorsqu'on les retrouve ultérieurement, le niveau de malaise grimpe encore. L'héroïne a des sourires qui glacent le sang même si elle sait montrer une véritable empathie et tendresse, hélas envers une seule personne : la grand mère dont elle s'occupe. Plus les révélations tombent, plus les relations qu'elle entretient avec les autres personnages procurent de l'inconfort (le fils de son futur époux, les filles dont elle s'occupe, les enfants lors d'un bénévolat). La fin du film est en cela très provocante car elle laisse en liberté deux êtres troubles et dangereux qui se sont fait du mal mutuellement. Fukada n'hésite pas non plus à faire douter de la santé mentale de son héroïne avec les scènes de voyeurisme bizarres, les hallucinations et cette scène de passage piéton terrifiante à la fin du film. Le seul bémol demeure l'incapacité de Fukada à couper des plans, qui amortissent parfois trop le désarroi face à ce qui se déroule sous nos yeux.
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