En 1945, alors que vient de s’achever la guerre, il faut se battre pour continuer de vivre à Leningrad comme en beaucoup d’autres lieux qui ont été ravagés par le conflit. Comme l’affirme Kantemir Balagov en citant le journal intime d’un des rescapés, il est paradoxalement plus facile de vivre en période de guerre que juste après. Pendant la guerre, en effet, le but est clair, il s’agit de survivre, tandis qu’après, il faut continuer de vivre, ce qui est autrement plus difficile. Pour rendre compte de cette épreuve, le réalisateur a choisi un point de vue qu’on n’a que trop tendance à oublier, celui des femmes. Et c’est dans un ouvrage de Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature en 2015), La guerre n’a pas un visage de femme, ouvrage dans lequel l’écrivaine a recueilli des centaines de témoignages de femmes, que le cinéaste a puisé son inspiration. Les guerres, quelles qu’elles soient, étant toujours racontées par les hommes avec des mots d’hommes, on ne peut que saluer toutes celles et tous ceux qui choisissent de donner la parole aux femmes à ce sujet, ne serait-ce que pour rétablir un peu d’équilibre.
Kantemir Balagov a retenu deux de ces femmes : Iya, celle qui donne son titre au film, belle femme blonde et si grande qu’on la surnomme « la girafe », et Masha. Dans la ville dévastée de Leningrad, elles se dévouent auprès des blessés, gueules cassées, hommes amputés d’un bras ou d’une jambe, paralysés, etc. Or les deux femmes doivent, elles aussi, essayer de se reconstruire malgré leurs traumatismes. Elles ont survécu au front, elles aussi, mais n’en sont pas revenues indemnes : Iya plonge régulièrement dans un état mental qui la rend comme absente à tout ce qui se déroule autour d’elle, Masha est irrémédiablement marquée dans son corps. L’une et l’autre sont comme vidées d’elles-mêmes : Iya d’un point de vue mental et Masha d’un point de vue physique.
Or le film repose, en grande partie, sur ce vide que les deux femmes cherchent à combler, en particulier par le désir de mettre au monde un enfant. Un désir d’autant plus fort que Masha a déjà été mère, mais que son enfant est mort. Je ne peux en dire plus sans spoiler. Mais, curieusement, le film aborde un sujet fortement débattu aujourd’hui et il le fait de manière honnête, sans rien dissimuler des surcroits de traumatismes encourus.
Cela étant dit, et même si chaque plan du film est composé avec un soin admirable, on peut cependant estimer que la radicalité de la mise en scène, très épurée, empêche de faire surgir l’émotion. Tout semble quelque peu figé et chaque scène semble répéter systématiquement un schéma identique reposant sur l’opposition entre le vide et le plein, jusqu’aux dialogues explicatifs de la fin qui m’ont paru superflus.