Nous le sentions de plus en plus inspiré dans la manière d’aborder son cadre, mais surtout sa narration. Mathieu Amalric l’a dernièrement prouvé à travers la remarquable autrice-compositrice « Barbara ». Le comédien de métier ne s’efface pas pour autant derrière la caméra et on ressent un désir de lier toutes les expériences bénéfiques qui l’ont porté jusqu’ici, à l’image de ses rôles instables. Il faut le voir pour en témoigner. La justesse poétique qu’il met en scène transpire de douceur, autant qu’il transpire d’ivresse. Il ne s’arrêtera donc pas à de simples archétypes complexes, car il propose à ses personnages, notamment à son héroïne, une présence forte. C’est tout cela qui viendra renforcer l’atmosphère si singulière de cette femme qui part à la recherche d’elle-même.
La question est de savoir pourquoi Clarisse se perd ainsi et de connaître la destination finale de sa route. Vicky Krieps lui donne le parfait cachet, entre le remord qu’elle éprouve, en laissant le domicile familial derrière elle, et le désir de surmonter une vérité qui la libérera enfin. L’absence frappe son jeu et pourtant, elle ne s’éloigne jamais très loin du champ, comme pour signifier un soupçon d’espoir dans ce qu’elle traverse. Cette mère, et épouse, fuit ainsi ses responsabilités, mais toute la symbolique du titre vient dérouler la confusion, servie par un montage méticuleux et qui convoque pleinement l’émotion. Quelques partitions de Mozart, Chopin et Ravel consolideront l’expérience, en plus d’imprégner l’esprit mélancolique de Clarisse.
On associera le son à sa fille, pour qui le piano canalisait son caractère féroce, puis le trait de dessin du fils cadet, pour enfin revenir aux caractéristiques des trains, dont le mari est ingénieur. C’est une forme d’harmonie, que l’on devine anéanti dès la première scène évoquant la rupture. Et ce sera grâce à chaque supposition, bien-fondé ou quelque peu évasive, que le récit gagne à emporter le spectateur dans le même tourment que l’héroïne. Cette prise de conscience s’installe ainsi, parallèlement à nos découvertes et aux enjeux d’acceptation, qui poussent Clarisse à modérer ses habitudes et à exister dans un monde qui ne voit plus que son fantôme. L’espace qu’elle occupe semble alors tenir d’un surréalisme, dès lors qu’elle se retranche derrière un doute, qui nous interpelle également sur la manière de conter un deuil impossible.
Les interrogations se multiplient et valorisent une traversée qui promet une réponse à chacune d’elles, avec la même caresse que Clarisse recherche, peut-être en vain, ou alors à raison. Mathieu Amalric confirme un certain zèle dans la réalisation et élève l’adaptation d’une pièce (jamais jouée) de Claudine Galéa, à un haut degré d’émotions. « Serre Moi Fort » se distingue sans tiret, comme pour isoler chaque entité de cette phrase, qui réclame pourtant une complémentarité. C’est là toute la subtilité du récit d’une femme qui s’échappe, pour finalement retomber sur ses racines.