C’est dans une époque pas si lointaine où nous emmène Martin Provost, quelque part entre l’éducation et l’émancipation de femmes, conditionnées aux tâches ménagères. Les succès de « Séraphine » et de « Sage Femme » confirment davantage son désir de rendre hommage à celles qui n’ont pas eu autant de visibilités ou de possibilités de s’exprimer, vis-à-vis d’une domination masculine ou sociale étouffante. A l’image de l’école ménagère, que l’on s’évertue à définir les valeurs point par point, il existe donc des nuances et un certain goût pour la révolte, à l’aube de l’année 1968. La Capitale devient alors le siège de tous les conflits, mais également de tous les fantasmes, choses que les jeunes filles du foyer partagent et que les plus matures redoutent. Et il faudra compter l’appui d’un humour positif et sarcastique pour se laisser séduire, mais serait-il judicieux de s’y attarder ?
On ressent un discours engagé, mais la démonstration peine à convaincre de bout en bout et avec tous les bouts. En effet, bien que l’on cède rapidement plus de place à gent féminine, on ne cherche pas fondamentalement l’unité avant une conclusion peu solennelle, mais qui aura l’audace de marquer la joie de vivre et le droit de jouir d’une liberté intouchable. Les pensionnaires n’auront pas forcément le développement souhaité, notamment autour de sujets comme le mariage arrangé ou l’homosexualité. Il y avait de quoi convoquer plus de sensibilité dans l’évolution de la société. On lorgne donc du côté de vétéranes, comme la directrice des lieux Paulette Van Der Beck (Juliette Binoche), la cuisinière et belle-sœur Gilberte (Yolande Moreau) ou la Sœur anticommuniste Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky). Chacune à sa façon, sera confrontée à ses propres principes ou ses rêveries. La désillusion devient donc un privilège et ces femmes convergent ainsi un peu plus vers le trésor qui leur était interdit.
L’égalité des sexes est en marche et la vitalité du foyer en témoigne, mais il reste du chemin avant d’y parvenir. Ce détachement aux doctrines patriarcales n’est qu’une étape, qui soulève un peu de naïveté, chose que l’on s’approprie même aujourd’hui alors que les choses avancent si peu. Mais il faut un début à tout et c’est avec ce genre de flottement qu’on se surprend à sourire ou à en rire, sans jugement, mais par compréhension. Le devoir conjugal étant restrictif, les nuances que l’on apporte suffisent à poser quelques réflexions sur ces pratiques que l’on détourne au nom du social et au nom du privée, au-delà des provinces et autres territoires désenchantés. Le message passe bien, mais quant au discours en lui-même, c’est plus délicat. Le film ne semble pas vouloir plonger dans ses ouvertures dramatiques, sous peine de faire retomber une tension saisissante et régie par un burlesque que l’on ne réfute pas. Pourtant, outre le retour explosif et poétique d’André (Edouard Baer), la narration manque parfois de justesse pour ces moments forts et nuancés que l’on nous promet, l’instant d’un baiser inapproprié mais révélateur d’un conservatisme, ou bien d’un revirement louable mais parfois surréaliste.
« La Bonne Epouse » fait donc le portrait d’une France divisée et qui portera les premières luttes féministes jusqu’aux portes de Paris, sanctuaire d’espoir et de renouveau pour les femmes, quel que soit son rang ou sa condition. On ne peut se tromper en regardant comment ces demoiselles d’une école ménagère parviennent à rompre un lien psychologique avec un régime de l’asservissement. Les intentions sont honorables, dommage que l’on survole certains sujets ou que l’on délaisse certains personnages au fort potentiel dramatique. Il reste tout de même assez de sincérité pour que la comédie fonctionne, le temps d’un bouleversement des mœurs.