« Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville ». Ces vers bien connus de Verlaine, Ling pourrait les prononcer, tant ils lui conviennent parfaitement. Originaire de Malaisie, elle habite à Singapour où elle enseigne le chinois à des élèves qui considèrent cette matière comme très secondaire, préférant apprendre l’anglais, beaucoup plus utile quand on veut trouver place dans le monde des affaires. Nous sommes à la saison des pluies et ce sont des trombes d’eau qui s’abattent sur la ville. En dehors de son métier de professeure, Ling doit s’occuper pas tellement d’un mari qui semble très distant et brille souvent par son absence, mais surtout de son beau-père, homme âgé, infirme, qu’il faut soigner comme on soignerait un bébé, en le nourrissant, le lavant, le langeant, etc.
Or c’est précisément la raison première de la souffrance de Ling que le manque d’un véritable bébé. Cela fait huit ans qu’elle désire avoir un enfant, mais en vain. Même les moyens de la médecine n’ont donné aucun résultat. Cette stérilité, c’est sans doute aussi l’une des causes pour lesquelles son mari s’est éloigné d’elle. Anthony Chen filme la douleur de cette femme avec une extrême délicatesse, sans jamais céder au pathétique. Il lui suffit de faire entendre quelques sanglots, de la filmer de dos pendant qu’elle pleure ou de montrer, juste un instant, ses yeux baignés de larmes reflétés par le miroir intérieur d’une voiture. Rien de plus, et cela suffit pour qu’on comprenne le chagrin de Ling.
Sa vie sans attrait se trouve cependant bouleversée, petit à petit, par l’intérêt grandissant que lui porte un de ses élèves, le seul qui semble avoir à cœur d’apprendre le chinois. Ling se fait un devoir de l’encourager en lui donnant des cours de rattrapage.
Entre la professeure et l’élève se noue, dès lors, une relation ambivalente. Sur ce terrain-là aussi, celui des désirs interdits qui s’accompagnent d’un goût de vivre recouvré, Anthony Chen fait preuve de savoir-faire.
Comme il l’explique lui-même, il fait le choix de se tenir, le plus souvent, un peu en retrait, ce qui est la meilleure manière d’éviter le sentimentalisme tout en préservant de la place pour les regards des spectateurs. L’une de ses inspirations, ajoute-t-il, provient des tableaux du peintre danois Vilhelm Hammershøi, artiste ayant réalisé beaucoup de portraits de femmes, souvent vues de dos. Ce qui n’empêche nullement l’émotion de naître, bien au contraire. Comme on peut le vérifier en allant voir ce film de toute beauté.