Nul besoin de s’y connaître en maléfice pour se rendre compte que le deuil lui-même est un dédale sans fin et dont les ramifications repoussent les frontières de la délivrance. David Bruckner revient ainsi après son « Rituel », qui aura piégé des randonneurs entre deux branches, dans un cadre plus simpliste, pour ne pas dire sobre. C’est un festival de mise en scène et de perspective qui se dessine, au cœur d’un logement qui a tout pour satisfaire les amateurs de maisons hantés. Et quand bien même cela constitue davantage une toile de fond, le réalisateur embrasse pleinement les phénomènes paranormaux, afin de se pencher sur la chute libre de son héroïne. L’effroi sera la principale menace pour elle, comme pour le spectateur, qui ne devrait pas en sortir indemne, malgré quelques faiblesses évidentes.
Rebecca Hall, que l’on savait déjà à l’aise dans ce registre décontenancé (La Maison des Ombres, The Gift), campe une Beth au bord de l’implosion et d’une rupture qui rime avec la disparition de son mari. Ce qui suit pourrait aisément sombrer dans une fantaisie vue et revue, mais on saura trouver un peu de retenue. En se détachant un peu de l’image de la final girl ou de la énième victime d’un harcèlement psychologique, elle déjoue certains principes où la raison s’accorde avec les gestes les plus simples. Pourtant, la fuite n’est pas une option pour cette enseignante brisée, mais qui éveillera son instinct investigateur pour arrondir les angles. L’ambiguïté est sans doute le fardeau qui la tourmente. Et ce ne sera pas à l’aide de souvenirs qu’on justifiera la quintessence de cette tragédie. Du jump scare efficace à l’économie les effets visuels, l’ambiance sera au diapason avec une étonnante communion, entre le désespoir et le désir.
Ce ne sont pas simplement les murs et les décors qui hantent Beth. Elle apporte également son lot de spectres et de suspicion, jusqu’à en repousser ses amis et ses voisins. Elle marche seule dans les ténèbres, à l’aide d’une bouteille qui lui aide à vider son chagrin. Et de cette peine naissant des secrets et autres révélations malicieuses, comme une part d’ombre qui la guette au quotidien. Doit-on y voir quelque chose de malveillant ? Est-ce simplement un constat d’introspection ? La machinerie prend place et parsème ce genre de question sans réponse, bien que l’on souhaite inévitablement conclure sur une note explicative, convenue et peu ambitieuse. La formule nous saisit à la gorge dans ces instants où l’on se refuse de donner un sens à tout ce qu’elle touche. Si ce n’est pas dans la vérité que l’on sortira victorieux, autant emprunter cette route sauvage et cauchemardesque, qui nous rappelle qu’il y a sans doute autre chose que l’on redoute de l’autre côté du miroir.
« La Proie d’une ombre » (The Night House) ne cesse de référencer sa démarche, au détour des « Innocents », « Le Tour d’Écrou », « Shining », « Mister Babadook » et « Invisible Man » pour ne citer qu’eux. Cependant, c’est avec une écriture intéressante que Bruckner paralyse son héroïne, dans le revers d’un mariage qui reflète sa fragilité dans cette même structure et architecture des lieux. Il ne s’agit plus de quitter la maison au plus vite, mais d’y régner le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’un sous-entendu échec ne devienne qu’un rêve dont il faut se réveiller.