Le cinéma soudanais, vous connaissez ? Sans doute pas, et pour cause. Le coup d’état de 1989 l’a interdit. Dans « Talking about trees », quatre cinéastes des années 70 et 80, formés à Moscou au 7ème art par ceux qui ont connu Eisenstein (autre époque, autre idéologie), imaginent de réouvrir un vieux cinéma à Khartoum, d’inviter la population gratuitement, et de projeter « Django Unchained » de Quentin Tarantino. Seulement, le cinéma en plein air tombe un peu en ruines, l’écran géant est poussiéreux, on n’a pas de projecteur digne de ce nom, ni de hauts parleurs. Qu’a cela ne tienne, on essaie d’obtenir l’accord des autorités, lesquelles retournent leur demande de commission en commission, jusqu’à plus soif.
Suhaib Gasmelbari nous offre une petite pépite cinématographique. Cela commence dans un village où l’électricité a été coupée. Alors, pour filmer sans caméra, sans électricité, sans prise de son, une lampe torche fera l’affaire, les mains à hauteur de visage servent de caméra, on crie « action, coupez » comme ailleurs dans le monde, et on est heureux. Les 4 sillonnent les villages et projettent tantôt leurs vieux films, tantôt Charlot dans « les Lumières de la ville », devant une poignée de villageois.
Parvenus dans la capitale, les difficultés s’amoncellent. Il faut même songer à ne pas projeter durant les appels à la prière des muezzins, tous munis de hauts parleurs, pas moins de 6 mosquées entourant le cinéma. Imaginez, nous dit-on, l’appel à la prière surgissant durant une scène de baiser torride ! Suhaib Gasmelbari traite la chose avec un humour certain, corrosif, c’est parfois quasi désopilant, mais aussi avec une ironie particulièrement acérée pour dénoncer le système aux mains des islamistes.
Le film, dont le titre est tiré d’un poème de Brecht (1), souffre sans doute dans sa première moitié, de moments quelque peu ennuyeux, mais les quatre vieux cinéastes sont en tous points adorables, tant ils rient de la bêtise des autorités et de celle des imams, lorsque les sous-titres nous traduisent les paroles des muezzins. Le film se conclut sur une séquence où un pseudo journaliste annonce à la télé la réélection triomphale de Béchir (2) en 2015, avec plus de 95 % des voix, en vantant les mérites de la démocratie soudanaise. Mais aujourd’hui, Trump ne fait pas mieux en matière de mensonges. Le film-documentaire présenté à la Berlinale en février 2019, est reparti avec le Prix du Public et celui du meilleur docu. Gloire au cinéma soudanais, s’il pouvait renaître, d’où les intégristes l’ont enfoui !
(1) Que sont donc ces temps, où
Parler des arbres est presque un crime
Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits !
(2) Béchir est arrêté par l’armée en mars 2019 et depuis emprisonné, à la suite de plusieurs mois de manifestations populaires. Il est accusé par la Cour Pénale Internationale de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, mais n’est toujours pas extradé, et ne le sera sans doute pas.