Que l’on soit adepte ou non des diverses fables de l’adolescence de Judd Apatow, le cinéaste ne démérite pourtant pas toutes les distinctions qu’il convoque. Entre la sublime direction de comédiens et les sujets qu’il aborde, il continue de faire rêver ses personnages adultes au cœur chaud, mais qui doivent faire encore quelques pas vers la maturité et le conformisme, thème récurrent dans sa filmographie. De « 40 ans, toujours puceau » à « Crazy Amy », malgré son enthousiasme, le maître de la comédie US s’essouffle un peu. Mais il entrevoit de rebondir au lieu de se laisser aspirer par un manque de succès. Il prend enfin le risque de virer de bord et comme pour son cinéma, il finit par établir une jonction avec la maturité.
On nous plonge dans une banlieue de New-York, qui n’a plus rien de fantasmagorique, car le fameux rêve Américain ne semble plus avoir de sens ou de pertinence. Au contraire, cette ville évoque une vieille cicatrice, assez subtilement dès lors que l’on connaît l’origine de l’écriture. Au milieu des débris de Staten Island, l’humoriste Pete Davidson prête ainsi son deuil et son corps tatoué à ce projet, clairement à contrecourant d’un réalisateur qui cherche à se renouveler. Mais il n’est pas question de la personnalité publique, il est question de Scott Carlin, un gamin errant dans les rues entre drogue, sexe et mélancolie. La scène d’ouverture est d’ailleurs représentative de sa lutte pendant toute son évolution, malmené à coup de hasard de sacrifices et de responsabilités. En fermant les yeux sur ceux-ci, il se dédouane évidemment d’un manque, qu’il traine constamment dans sa démarche, sa spontanéité et sa naïveté. Et ce sont pourtant des éléments qui séduiront chez cet homme, mentalement jeune et fébrile.
En revanche, ce qui patine toujours dans la narration d’Apatow c’est son rythme. Bien que l’on ressente son élan, le cinéaste peine à faire avancer son personnage. En soi, son parcours n’illustre qu’un fragment de vie qui ne se construit que par des juxtapositions de dérapages. Il manque parfois de consistance dans les transitions et des longueurs se créent inévitablement. Mais tout l’âme de l’œuvre ne tourne pas autour de ces détails scénaristiques, car il ne s’agit plus que de filmer un personnage, authentiquement incarner par l’âme d’un orphelin. On le caractérise toujours à travers l’amour, mais ce sera du côté familial que le réconfort viendra. D’abord avec sa sœur Claire (Maude Apatow), qui réussit son émancipation. Puis avec sa mère, Margie, qui nous donne l’occasion de confirmer une Marisa Tomei toujours impériale. Il existera également un semblant de cohésion dans le groupe d’ami, mais ce faux-clan ne fait que servir le trône de Scott, l’aiguille à la main et les émotions sur la peau. De cette manière il exprime ses rêves et ses ambitions primaires. Mais la vie est constamment en mouvement, d’où la catalyse de l’action par des pompiers généreux, mais relativement peu incarner pour exister dans le même récit de Scott.
Pourtant, avec la pointe d’humour qui découle de d’un script efficace et de personnages attachants. Le film annonce un double retour, celui de deux nouveaux adultes, où comédien et réalisateur se partagent les pouvoirs au sommet d’un île, qui ouvre des horizons et davantage de possibilités derrière l’ombre de leur passé respectif. Que ce soit dans le mode de vie ou dans une carrière qui piétine, il y a de grands échos autour d’un projet à bâtir et le récit prend soin d’expliquer en quoi la pose de la première pierre peut significativement changer toute un monde, entre le rire et les larmes. Ainsi, « The King of Staten Island » prend tout son sens dans un dernier plan symbolique. Le héros finit par voir les choses en grand et par changer de perspective afin de mieux avancer, tout en épousant la richesse de son environnement.