Je trouve ça assez terrible de se retrouver face à un film et de n’en voir que les ficelles.
Et « France », pour moi, ça n’a quasiment été que ça.
Des ficelles.
Du fake.
En même temps le film ne s’aide pas.
Dès l’introduction il faut que Dumont fasse le choix de poser son personnage de journaliste-star en le faisant intervenir pendant une conférence de presse d’Emmanuel Macron.
Forcément on sait que c’est fake – puisque ces images d’Emmanuel Macron sont évidemment des images détournées – du coup, au lieu de rentrer pleinement dans l’illusion, on s’interroge déjà sur les coutures, sur le « comment c’est fait »…
…Et tout ça au final pour simplement se dire que ça a sûrement été beaucoup de contraintes pour pas grand-chose.
C’est d’ailleurs tout le bilan que je tire au final de ce film : beaucoup de contraintes pour pas grand-chose.
Pas grand-chose certes, mais un peu de quelque-chose tout de même…
Parce que bon, contrairement à pas mal de ses homologues hexagonaux, au moins Dumont cherche-t-il encore à produire de l’image, de l’instant et de la singularité.
Ici un échange de regards gênant. Là une gueule atypique sur laquelle on s’attarde. Ou bien encore à d’autres instants un cadre ou une situation insistante qui finit par installer une dissonance ou un malaise…
Quand il fait ça, Dumont me parle. Et ce n’est pas un hasard en fin de compte parce qu’à bien le considérer, le cinéma de Dumont ça ne s'est souvent réduit qu'à ça.
Je trouve même d'ailleurs dommage qu'alors que – pour une fois – le bon Bruno s’essayait à aller au-delà de la simple bizarrerie – qu’il a essayé de dire et de développer quelque-chose – toutes les coutures se soient mises à sauter et qu'elles soient apparues aussi ostensiblement à l’écran.
Or le premier point sur lequel l'audace de Dumont n'a pas payée, c'est sur sa démarche satirique.
Loin de moi de vouloir sauver le monde du journalisme, de la politique, ou de l’entre-soi bourgeois – loin de là – mais là, dans ce film, Dumont ne fait que mettre en image une simple caricature de « journalope » qui ne va pas bien loin, sans subtilité aucune.
« Ah bah tiens, là on constate que France met en scène son reportage comme une réalisatrice au point de demander à des soldats de faire des poses… »
« Ah et puis tiens, là, elle se met en scène tout le temps, se gardant bien de rester trop longtemps avec les migrants dont elle prétend pourtant suivre les turpitudes… »
« Et puis là enfin, elle n’en a visiblement rien à carrer des situations de guerre, des victimes et de son personnel tant que, elle, elle peut retourner se dorer la pilule dans son hôtel à l’arrière du front… »
…Mais bon, le pompon ça reste quand-même ce « diner du siècle » où elle se retrouve au milieu de la haute-bourgeoisie qui est en train d’expliquer son plan démoniaque pour diriger le monde (« mouhahahaha ! » manquait-il à la fin de chaque phrase.)
Ça, pour le coup, c’était vraiment consternant.
Tout ça n’a rien de neuf.
Tout ça n’a rien de subtil.
La démonstration est insistante. Grossière. Réduite à une surface évidente.
...Presque timorée.
Dès lors, au lieu de suivre une fiction, on a davantage l'impression de contempler une simple dissertation mise-en-image, et c’est assez triste.
Or l'autre problème qu'il y a avec ça c’est que, même formellement, Dumont patine pas mal.
En termes de montage et de rythme il y a clairement à revoir.
Combien de scènes se mettent à s’étendre dans le temps alors qu’on en avait justement compris l’enjeu ?
Combien de fois Dumont manque la coupe au moment opportun pour continuer à illustrer et illustrer encore ?…
L’accident de Fred et de Jo est pour moi tout un symbole de ces scènes qui multiplient inutilement les plans et se dilatent bien trop dans le temps.
Même chose au niveau de l’intrigue d’ailleurs.
2h13 tout de même.
Deux heures et treize minutes qui n’en finissent pas.
Deux heures et treize minutes parce que le film décide de continuer à raconter ce qu’on a déjà vu, compris, assimilé depuis un petit moment…
Autant d’errances qui font qu’en permanence les ficelles sont là. Tout le temps. Toujours…
Du coup, bon-an-mal-an, je me suis raccroché à ce que j’ai pu.
Je me suis raccroché à ces fameux instants dont je parlais tout à l’heure.
Ces instants de suspension où rien n’est dit mais où pourtant le film m’a parlé.
Pour ma part j’ai bien plus ressenti le fake quand, dans un repas entre amis, Fred fait savoir à France qu’il a entendu le « coussi-coussa » qu’elle a répondu à son amie qui lui demandait discrètement comment ça allait dans son couple.
« Coussi coussa… » répète-t-il alors à voix haute, armé d’un regard froid comme pour l’accuser.
« Coussi coussa… » riposte-t-elle avec davantage d’assurance, elle aussi avec le même œil accusateur.
On sent l’explosion possible. Souhaitable. Souhaitée.
On sent que chacun à envie de mettre des mots sur la situation.
Elle de lui dire à quel point il n’est finalement obnubilé que par la promotion de son livre qui n’intéresse pas autant le petit monde qu’il ne l’aurait espéré.
Lui de répondre qu’elle ne vit que pour entretenir son image et sa gloire au travers de ses reportages.
Et puis soudain les volontés de passage à l’acte s’annulent.
Fred se sait autant fautif que l’est France et vice-versa. Et ni l’un ni l’autre n’a finalement envie de concéder quoi que ce soit sur son obsession personnelle.
Alors on regarde l’autre avec colère, mais on ne dit rien. On ne va pas au-delà.
On sait de toute façon que pour aller au-delà il faudrait tout envoyer voler ; tout ce cadre bourgeois fait de satisfactions artificielles et d’allégresses dopées au moi.
Et comme personne ne le veut autour de cette table, alors personne ne le fait.
Accepter l’aigreur est le prix à payer pour tout ça. Alors continuons de faire semblant et convainquons-nous qu’on est heureux de ça quand bien même on ne l’est pas.
Pour le coup c’est ça c’est filmer le fake et ne pas en faire soi-même.
Dans des moments comme celui-là, Dumont excelle…
Mais ces moments sont malheureusement bien rares dans cette grande pelote de ficelles.
…Pelote dans laquelle les acteurs peinent à faire autre chose que les acteurs alors qu’on aurait pu espérer d’eux qu’ils parviennent à camper un temps soit peu des personnages.
Alors bon, c’est bien gentil après ça de donner [des leçons au monde du cinéma lors de ses interviews][1], cher Bruno, mais je trouve qu’à un moment donné il faut aussi savoir adopter une posture qui tienne un minimum la route par rapport à ce qu’on critique.
Parce qu’autant je ne ferais clairement le reproche à Dumont de dire ce qu’il dit – qu’un auteur sorte de la langue de bois et des auscultations de nombrils, moi je trouve que ça fait du bien – autant je trouve qu’il y a quand-même quelque-chose d’assez cocasse à vouloir imposer une vraie éducation à l’art auprès de la population – à vouloir sortir des spectacles simplistes de bas-étages afin d’élever la populace – et de soi-même proposer quelque-chose qui ne vaille guère mieux.
…Cocasse également de faire un film qui critique l’autosuffisance et l’esprit de domination de la bourgeoisie tout en se comportant soi-même comme un vrai bourgeois qui cherche lui aussi à imposer ses codes à la plèbe.
Mais bon, au moins Bruno Dumont essaye, lui.
C’est toujours ça de pris. Et c’est à son honneur...
Et même si son cinéma pue le fake, au moins aspire-t-il à devenir et rester du cinéma…
…Faute de mieux, contentons-nous déjà de ça.