Je connais peu l'oeuvre de Bruno Dumont, n'en ayant vu, avant ce "France", que "Camille Claudel, 1915" (2013) et "Ma Loute" (2016). Ces deux films avaient en commun de vraies qualités esthétiques, grâce au travail remarquable du directeur de la photographie, Guillaume Deffontaines. Rien de tel ici - la photo, signée David Chambille, n'a rien d'esthétique - sauf si l'on vise une esthétisation de la laideur.
Pour la 3e fois consécutive, Dumont scénarise sur Péguy. Ce qui coulait de source avec "Jeannette" et "Jeanne" (2017 et 2019) - d'Arc ! Mais là, d'emblée, on s'étonne, car le propos est contemporain, et il s'agit de la vie (par tableaux) d'une créature des médias ! Le (très) posthume - publié en 1952 (quand CP est mort, au combat, en septembre 1914 - une des premières victimes de la Grande guerre), "Par ce demi-clair matin", est ici adapté - par l'intellectuel Dumont.
"France De Meurs" (Léa Seydoux) est une présentatrice vedette d'une chaîne du cable, dont la spécialité est d'animer une émission hebdomadaire, où elle diffuse des reportages réalisés par elle, suivis d'un débat. Son thème de prédilection étant la guerre et ses drames humains, pendant et après (dont les "crises migratoires" incessantes, découlant des conflits).
Où est Péguy là-dedans ? Quand on sait que le recueil de manuscrits inédits jusqu'au début des années 50, source revendiquée d'inspiration du cinéaste, est pour partie constitué de deux suites de "Notre Patrie" (1905), on fait le lien avec l'héroïne journaliste, qui se prénomme... "France". La jeune femme vit une vie de carton-pâte, dans des décors de carton-pâte, verse même des larmes de carton-pâte... Elle est, en montre permanente du fait de sa notoriété de carton-pâte, emblématique de notre société factice, superficielle, en trompe-l'oeil. Jusqu'à ce que la mécanique bien réglée de cette existence vide vienne à se gripper
(un premier accident - elle renverse un jeune homme ; elle démissionne ; elle part se "resourcer" en Suisse, façon "Montagne magique" et y vit une passion ; qui n'est qu'illusion, le séducteur étant un chasseur de scoops ; elle reprend, avec peine, ses activités ; un deuxième accident - ses mari et enfant y périssent...), jusqu'à la rédemption, forcément doloriste..
Comme c'est du Dumont, c'est très long (inutilement, d'au moins 30 min sur 2 h 20). Ce n'est pas d'un abord facile, non plus (entre satire, drame - et même cocasserie farcesque, façon "Ma Loute" : dans la posture du "choeur", dans cette tonalité, Blanche Gardin, en assistante personnelle - réjouissante - le tout articulé et monté sans agrément particulier pour le spectateur)... De "France de Meurs" à "France (notre patrie), demeure".
Au global, déconcertant, voire agaçant ! Mais incontestablement cohérent, et même roboratif et décapant.
D'aucuns, qui n'ont pas spécialement aimé, cherchent à sauver au moins Mlle Seydoux (de la plupart des plans) - pour ma part, je ne l'apprécie décidément pas, et son jeu d'actrice est au contraire un net bémol, pour moi !